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Surf loose report

Chroniques de la loose surfistique ordinaire

Kermesse

Port Blanc, 12h30.

Putain je l'aurai méritée cette session! Après 20 minutes de bouchons entre Plouharnel et Penthièvre, j'arrive finalement à port-blanc pour constater que le parking dégueule de bagnoles jusque sur la route. Impossible de se faire la moindre place au milieu des immatriculations venues de tous les départements de France et du monde. Obligé de me replier sur le parking de la zone artisanale de Kergroix, il m'a fallu crapahuter pieds nus sur les gravillons et les chardons qui agrémentent le chemin vers l'escalier interdit menant au pied de l'arche.

La vue du haut de la falaise n'est pas agréable: si un petit mètre presque propre rentre effectivement comme l'avaient annoncés les modèles météos, force est de constater que tous les surfeurs du département s'y sont donnés rendez-vous. Les mecs rament à 4 ou 5 sur la même vague, se taxent comme des sales, remontent au peak en coupant la route de ceux qui surfent... Bref, un beau carnaval estival comme on peut s'y attendre en plein mois de Juillet. Je descend me mettre à l'eau non sans une certaine appréhension.

Au milieu de la foule, j'identifie rapidement le collègue qui m'a devancé d'un bon quart d'heure. A voir sa mine béate, il a semble-t-il déjà pris quelques vagues sympa. En allant à sa rencontre, celui-ci trouve le moyen de terminer se vague en laissant échapper sa Takayama droit dans ma direction. En voyant la board s'arrêter à quelques centimètres de mon dentier, je me félicite que son leash ne soit pas plus long. Décidément, si même les potes s'y mettent, il va falloir que j'envisage de surfer avec mon casque de hockey, celui avec la grille pour arrêter les palets avant de perdre une incisive. En tout cas, cela me donne un avant goût de l'ambiance du jour.

Un surfeur averti en valant deux, je suis maintenant obligé de ramer deux fois plus fort pour aller me placer au peak. Dès les premiers regards échangés avec les artistes déjà en place, je sens la tension qui règne sur les lieux. L'ambiance est tellement virile que même les nanas ont les yeux qui puent la testostérone. Personne ne se sourie, tout le monde fait semblant de s'ignorer pour mieux justifier la taxe que chacun sait imminente. Alors que j'attend la série, un type vient de placer juste en dessous de moi, me barrant littéralement la route si tant est que j'avais eu la moindre intention d'essayer de prendre une vague.

Un peu plus loin, une célébrité locale, plus connue pour son agressivité notoire que pour la qualité indéniable de sa glisse, enquille tranquille sur un peak à l'écart qu'il a certainement dû nettoyer à grand coups d'insultes et de menaces. Le collègue et moi nous plaçons à mi-chemin entre le gusse et le gros du peloton, sur un peak presque tranquille en face de port-kiferhm, et au niveau duquel le courant a tendance à faire le ménage. Malgré mes efforts pour bien me placer, j'enchaîne les mauvaises décisions et me contente de quelques glisses trop courtes au milieu de l'écume. Avant que j'aie pu profiter d'une vraie bonne vague, mon collègue est déjà remonté dans le parking, notre patron lui ayant proposé de faire leur entretien RH annuel à une heure indécente (Genre 14h quoi, le malade!).

Je reste en contact visuel avec un de ses amis pour qui j'éprouve la plus vive sympathie: Le brave homme a l'excellent goût de porter un prénom à la fois empli de noblesse et de caractère. D'ailleurs, mes parents ont choisi le même pour moi, c'est dire! Bref, nous nous tenons mutuellement compagnie un moment, essayant différents peaks les uns après les autres. L'espace d'un instant, j'oublie même l'ambiance déplorable qui règne sur le spot pour me délecter d'une paire de vagues un peu moins ratées que la moyenne... Jusqu'à ce que j'assiste à une triste scène me ramenant instantanément à la réalité de notre condition.

En ramant vers le peak, j'observe un waveski dérouler sa vague pépère lorsque, soudain, la star locale du jargon fleuri entreprend de taxer l'innocent en se jetant comme un malpropre en travers de sa trajectoire. Non content de se mettre délibérément en danger (même si j'avais la prio, je ne m'amuserais même pas à tester la collision avec un waveski et sa pagaie...) le mec déverse sur sa victime un florilège de caresses verbales débordant d'originalité. La situation est d'autant plus hallucinante qu'en dépit de la douzaine de règles offrant au kayakiste une priorité exempte de toute ambiguïté, le surfeur semble réellement convaincu de son bon droit, étayant son argumentaire d'un déballage nauséabond de localisme à tendance xénophobe. "Ici t'es pas chez toi connard!", "Tout allait très bien avant que tu te pointes et que tu foutes la merde" (traduisez: "et que tu aies l'outrecuidance de prendre une vague alors que je ne t'y avais pas autorisé"), "Dégage de mon spot", "Ces vagues sont à moi"...

Insatisfait par la brièveté de son altercation, laquelle n'a sans doute pas été suffisante pour libérer l'excès de frustration accumulé par un mois de disette houlistique, le mec entreprend de prendre durablement à parti l'importun, allant jusqu'à le bloquer à l'écart du peak en adoptant une attitude physiquement menaçante à son égard. Je veux dire... il a beau avoir un casque, l'autre a quand même une pagaie... Faut pas être un champion de MMA pour savoir qui va déguster le plus en cas de baston. Bref, un magnifique déballage de ce que la nature humaine fait de mieux.

Le "bon" côté de la chose, c'est qu'à présent, le peak est complètement désert. Plus personne n'ose roder à proximité du waveski de peur de s'attirer les foudres du local en furie. Je profite de l'occasion pour -enfin- décrocher la gauche que j'attendais. Un petit morceau qui n'en finit plus de rouvrir et qui m'emmène de port-pigeon jusqu'au pied de l'arche, pour finir sur un petit top-turn assez appuyé pour envoyer de la flotte en l'air. Quelques secondes plus tard, je trouve dans la reforme une droite qui me ramène pratiquement à mon point de départ après un nombre indécent de virages. Pour moi, la session est bouclée, j'ai eu ce que je voulais.

Le temps de faire causette avec l'artisan qui shape en haut de la falaise mais qui a préféré venir prendre quelques vagues au lieu de bosser sur ma planche, puis je capte une petite mousse qui me ramène au bord. Les vagues lèchent déjà le pied de l'arche, la fête est finie. D'ici quelques minutes, il n'y aura plus rien de surfable qui ne soit pas un aller simple vers les cailloux. La route vers mon parking de repli a l'air encore plus longue qu'à l'aller. Je sais déjà que je vais manger du bouchon avant d'arriver chez moi.

Est-ce que ça en valait la peine?

J'espère que oui.

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A
Salut Nicolas,<br /> Un petit commentaire pour te dire que ton blog est toujours mieux rédigé, la baisse de fréquence de post ne change rien au plaisir qu'on a à lire les histoires de ce mec avec une planche en ce qui on se retrouve si facilement ! <br /> Javais un doute sur l'identité de notre "faiseur de localisme", qui c'est confirmé en commentaire !<br /> Continue de prolonger le bonheur de nos sessions ! (Et leurs galères, quon aime tout autant sans se l'avouer...)
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U
Merci. Ce genre de message donne la patate pour continuer :-)
J
salut'<br /> ton article est très bien ficelé je suis assez fan...<br /> Une simple précision ton clown bruyant et casqué n'a rien d'un local... La preuve en est, il vit dans un fourgon miteux à quelques dizaines de mètres de ton parking de repli...<br /> A te lire on a l'impression que local est synonyme de casse couilles de service!<br /> Il m'arrive encore, personnellement, de recadrer de différentes façon les surfeurs d'outre presqu'ile qui, à mes yeux, sont dangereux pour les autres voir pour eux même. N'oublions pas cette épée de Damoclès suspendue au dessus de nos têtes: le surf n'est que toléré sur l'ensemble des spots de la côte sau.<br /> Il suffirait de pas grand chose comme scandale, pour qu'il soit officiellement interdit au niveau municipal et préfectoral. La sécurité est l'intérêt de tous, la faire respecté aussi.<br /> Signé : Un mec avec une planche, 50 ans+, St Pierrois et surfant depuis 1978.<br /> (C'est te dire si j'en ai croisé des bastringues bruyantes...)<br /> <br /> Bonne surf, te lire est très agréable.
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U
S'il vit dans un fourgon garé à côté du spot, ne peut-on pas justement dire que c'est un local? D'ailleurs, il est connu comme le loup blanc sur tous les spots de la presqu'île où on peut régulièrement le croiser.<br /> <br /> Mais qu'il soit du cru ou pas, cela n'a pas vraiment d'importance. Ce que j'essaie d'illustrer dans cet article, c'est l'attitude d'un mec qui se croit chez lui et qui réagit de manière hyper agressive à rien du tout. En gros, l'idée qu'on se fait couramment du "localisme".<br /> <br /> J'ai parfaitement conscience que tous les locaux ne sont pas comme ça. Mais c'est justement parce qu'ils ne sont pas comme ça qu'on ne les accuse pas de localisme.<br /> <br /> Il y a une vraie ambiguité éthymologique entre "le local" et "celui qui fait du localisme".
K
Casque gath rouge, la cinquantaine le gueulard ? Déjà vu effectivement pas l'air très accueillant.<br /> C'est du pain béni pour les réparateurs de ding ce genre de sessions kermesse.
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U
Ce mec est une légende vivante. Son nom est souvent cité sur BZH'Ecume pour illustrer des propos/comportements agressifs.<br /> <br /> Même "Les Nuls" ont dit que c'était un con, c'est dire!