22 Mai 2020
5h, le réveil sonne.
J'ai encore les yeux tout merdeux mais ce n'est rien en comparaison de celle qui m'accompagne ce matin. En effet, la tribu casée chez les grands-parents, j'ai promis à ma douce une sortie plage rien que nous deux, en amoureux. Je comptais décoller dans la foulée, genre le temps d'enfiler mes tongs, mais il me faudra m'armer de patience, le temps qu'elle se remaquille...
5h15, le départ est enfin donné. C'est dix minutes de plus que ce que j'avais prévu mais je garde mon calme. C'est pas tous les jours qu'on peut passer un instant à deux. Sur la route, un silence pesant emplit l'habitacle du véhicule. Je devine que ma compagne est encore dans le coaltar. J'en profite pour me réjouir intérieurement de la météo: épais couvercle nuageux, petite bruine des familles, fort vent d'ouest... Il y a des chances pour qu'on soit peinards un moment. Si ça se trouve, on n'aura même pas droit au lever de soleil sur les dunes mais qu'importe, l'essentiel c'est d'être ensemble.
En arrivant dans le parking, mon intuition se confirme: à part une tente Quechua 2 secondes dépliée sur les graviers à côté d'une Twingo et une paire de kiteux fraîchement débarqués de... Moselle (nan, pour de vrai les mecs?!), le parking est désert. Je sors checker, ma belle reste dans le camtar profiter de quelques minutes supplémentaires de chaleur. A mon retour, je me change et enfin je l'aide à sortir du camion: ma précieuse, ma belle... LINETTE, toute de frais waxée! Ahh, depuis combien de temps n'avais-je pas chevauché cette fougueuse compagne? Alors oui, aujourd'hui les conditions sont passablement dégueulasses, mais je sais qu'elle est capable de tout et qu'ensemble, nous partagerons un moment magique...
"Tu crois qu'il faut que je mette la combi?
- Ah, tiens! T'es là toi aussi!"
Pamela me dévisage, sa néoprène à la main. J'ignore comment elle est arrivée jusqu'ici (sans doute s'est-elle glissée dans le coffre à mon insu, avant que je ne mette le contact) mais je vois les choses du bon côté: comme ça au moins, elle pourra me garder mes clefs.
Il fait encore très sombre lorsque je descends le chemin de la guitoune (dans le bon sens, contrairement aux deux Mosellans qui certes ne font de mal à personne mais que c'est une question de principe BORDEL). Le vent souffle fort, la mer est en mini-chantier et la barre est bien vilaine comme on les aime. Deux jours plus tôt à cette heure, on aurait été une trentaine au peak, mais là, je suis SEUL. Pas la moindre silhouette à la surface de Ste-Barbe aux crevettes. Je dis au revoir à mes clefs qui partent faire du longe côte sur les nids de gravelot, et je me lance. Côté barounette, j'ai vu largement pire. Mais la condition physique n'étant pas encore de retour à 100%, je transpire un peu quand même pour aller me placer. Les mousses pètent de partout, ça se lève et ça retombe sans logique apparente... Je suis à la maison. Voilà une session aux petits oignons pour le prince de la loose.
Après pas mal de faux départs, je réussis enfin à choper une droite... ou plus précisément: une toute-droite, qui me pousse juste assez longtemps pour avoir l'air con, le cul dans la mousse, et m'offrir un nouveau passage de barre. Et puis, avec beaucoup de patience, le hasard finit par jouer en ma faveur et je m'élance sur une gauche un peu molle au départ, sur laquelle je suis placé légèrement trop haut, mais qui se met à creuser et à ouvrir au moment précis où je réussis à basculer dans sa pente. Linette me colle aux pieds, répond à la moindre de mes sollicitations, j'enchaîne les virages tout en dosant ma vitesse pour ne pas m'éloigner d'une épaule un peu fainéante. C'est le gros panard. Comme à chaque fois que je surfe avec Linette, je me pose la question de savoir pourquoi je me fais chier avec un camion rempli de planches: Dans le mou comme dans le creux, dans le propre comme dans le sale, elle assure à la perfection. Monsieur Vince a eu le nez fin au niveau des cotes, c'est tout simplement la planche qu'il me fallait pour passer la seconde.
Au vu des conditions, je m'estime heureux d'avoir surfé trois vagues très correcte lorsque je devise au loin mon porte-clefs de retour de promenade. Ça fait un bon quart d'heure que je trempouille sans trouver quoi que ce soit de prenable. Le vent n'est pas retombé, au contraire, et le chantier se dégrade à vue d’œil. Le long de la plage, les deux kiteux alsaciens arpentent la côte sans relâche et, de loin en loin, je repère une, puis deux, et enfin trois silhouettes de surfeurs. Il doit être dans les 7h45 et c'est l'heure pour moi de sortir. Poussé par une mousse, je rejoins mes clefs dans la position classique du phoque gris. Une fois au sec, le porte-clef m'annonce qu'il va se baigner vite fait avant qu'on y aille, je décide d'aller poser ma planche sur le haut de plage pour l'accompagner.
En chemin, un joggeur s'arrête à ma hauteur, dans une attitude invitant manifestement à la conversation. Je le salue, il me salue. Il me demande d'où vient ma planche, je lui parle de Vince, dans la zone de Kergroix, du lin et du polystyrène recyclé. "C'est bien ce que je me disais... C'est pas toi qui tient un blog par hasard?" Hosanna! Encore un lecteur qui me reconnaît à ma planche. Décidément, je lui dois tout, même ma célébrité. "Ah ben ça alors tu parles d'une coincidence! J'adore lire ton blog, c'est mon moment de pause quand je suis aux chiottes..." Je m'efforce tant bien que mal de prendre ça pour un compliment: Mon blog permet à mes lecteurs de passer un bon moment aux toilettes. Autrement dit: Il les aide à bien chier. On pourrait même aller jusqu'à dire qu'il les fait bien chier. Et là, j'ai envie de dire: "Est-ce que tout le monde peut se vanter d'avoir un blog qui fait bien chier les gens?". Je ne crois pas, messieurs dames!
On cause quelques instants. Ancien windsurfeur comme moi, pris dans l'étau des responsabilités familiales, il se retrouve en partie dans mes mésaventures. Et ça c'est cool, parce que c'est bien ça le principe de mes textes: que chacun puisse y reconnaître un peu de sa propre misère. En plus, le mec bosse régulièrement (c'est à dire en dehors des périodes de confinement où il rentre prendre soin de sa famille) en Angleterre: grâce à lui, je peux dire de mon lectorat qu'il est international! La conversation dure juste assez longtemps pour que l'un de mes nouveaux amis kiteux du 5-7 fasse tomber sa voile sur mon trousseau de clefs à pattes. Faut dire que vu la fréquentation indécente de la plage (5 personnes sur 6kms linéaires de sable) ça lui pendait au nez. Je me retrouve dans l'obligation d'écourter notre discussion pour aller porter secours à la victime.
Les choses rentrées dans l'ordre, nous nous mettons en route pour le camion: moi, Linette, et notre passagère clandestine. En terminant de gravir la dune, je jette un dernier regard sur l'océan dont les reflets sont aussi maussades que mon cœur est léger: Contrairement à mercredi dernier, et en dépit des conditions, je ressors de cette session regonflé à bloc, avec une niaque de tous les diables. De loin en loin, je distingue quelques autres courageux envers lesquels je sens grandir en moi une estime fraternelle. Entre vrais drogués, on se comprend.
Nan parce que, sans vouloir donner une fois de plus dans la polémique: Ils sont où, tous les soit-disant affamés qui n'étaient pas foutus de se retenir d'aller faire les marioles à la côte sauvage quand il faisait beau soleil? Ils sont où, les maîtres nageurs grégamistes tellement obnubilés par leur petite branlette surfistique qu'ils en oublient de se comporter comme des humains respectueux? Ils sont où, les longboarders excités au point de ne pas laisser la moindre vague pour les copains? Ils sont où, les touristes ahuris qui disent que "c'est pas grave, ça fait de mal à personne" de se comporter comme des connards au point de convaincre les maires de refermer leurs plages? Hein? Ils sont où???
Moi, j'ai qu'une chose à dire: Vive la météo de merde, vive les conditions de merde, VIVE LA BRETAGNE!!!