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Surf loose report

Chroniques de la loose surfistique ordinaire

Désillusion

La Guérite, 14h20.

Jusque là, c'était une session comme les autres. Enfin quand même un peu mieux que les autres. Depuis 4 jours, les conditions ne faisaient que s'améliorer: un léger vent de terre venait creuser la houle qu'une dépression au coeur de l'atlantique avait la bonté de nous envoyer plein ouest, et le ciel incroyablement bleu pour un mois d'octobre tout autant que la douceur de l'eau me faisaient oublier que nous avions déjà bien entamé l'automne. Le vent soufflait encore un peu fort à mon arrivée, et on bouffait tous des paquets de flotte à la rame, mais on sentait à présent clairement une accalmie et le plan d'eau devenait plus propre à mesure que les minutes passaient. Les plus beaux morceaux avaient tous été captés par une horde de longboards qui ne cessaient d'aller et venir en jouant la priorité et j'avais dû me contenter des restes que j'attendais à cheval sur ma 5'10". Pour autant, je ne suis pas plus énervé que ça. Ça faisait trois jours maintenant que je surfais en mode facile avec une grosse fish de 7' et j'avais déjà pris assez de vagues pour remplir mon quota de la semaine. Aujourd'hui, je veux juste me faire plaisir, une belle vague suffirait.

Question bilan, c'est pas encore suffisant pour sortir de l'eau: Tout au plus quelques gauches qui avaient aussitôt fermé, une droite backside à peine assez longue pour remonter taper la lèvre avant qu'elle ne me casse dessus... Quelques minutes plus tôt, j'ai même failli embrocher une jeune femme arrivant en sens inverse sur une vague qui s'était mise à déferler par les deux extrémités. Non, il n'y a vraiment pas de quoi être fier.

Un type me demande l'heure, je lui réponds en toute honnêteté que je l'ignore, même si j'ai le sentiment que je ne devrais déjà plus être à l'eau depuis un bail. Surfer sur la pause de midi, c'est bien, mais ça impose une certaine autodiscipline. Pour me déculpabiliser, j'oublie systématiquement ma montre dans la voiture: Heureux les ignorants... Le gars, un quinqua en parfaite condition physique, me rétorque qu'il pense lui aussi devoir sortir, mais qu'il a du mal à passer à l'acte, vu les conditions hors-normes. Je le regarde ramer vers le large, je trouve qu'il va chercher les vagues un peu loin vu la taille de sa planche, mais il a l'air de savoir ce qu'il fait. En ce qui me concerne, c'est plié: mes bras commencent à me faire défaut et j'ai déjà loupé suffisamment de grosses vagues molles au large pour me résoudre à rester attendre les petites séries qui se dressent plus près du bord.

Le soleil commence à me chauffer le visage. Ma peau est sèche, ce qui signifie que je suis assis là, à attendre, depuis trop longtemps. Je m’entends articuler à voix haute "La prochaine c'est la dernière", comme un sortilège supposé invoquer la vague. Espérons que l'océan ne sait pas qu'il s'agit d'un mensonge éhonté: je ne sortirai pas de l'eau avant d’avoir chopé au moins une vague potable, quitte à sécher le taf. Quelques secondes plus tard, "la prochaine" pointe justement le bout de son nez. Vu d’ici c’est clair, je ne suis pas assez haut, elle va me péter à la gueule. C’est le sosie de Georges Clooney qui avait raison! Pendant que je rame sur le côté pour éviter la branlée, je nourris l'espoir de choper l'épaule avant d'être complètement cerné par la mousse. Un bon coup de bassin pour basculer (façon "phoque sur la banquise") et -ouf- je suis dans la pente. Le take-off est laborieux, mes bras ne sont décidément plus en état de grand chose. Quelle idée d'enchaîner 5 sessions en 4 jours à mon âge! Je me pose backside pour constater que ça ferme devant moi. Un rapide coup d'oeil par dessus mon épaule, il n'y a plus rien de praticable derrière non plus. Je me laisse tomber d'épuisement dans la mousse.

Je ressors la tête de l'eau juste à temps pour voir la série arriver. Je suis en plein dans la zone d'impact. Misère! Je rassemble mes forces et glisse la planche sous mon ventre d'avantage que je ne monte dessus. Première vague, canard. Deuxième vague, canard. Troisième vague, je plonge trop tôt. Les remous m'arrachent la planche des mains. Je tire sur le leash et récupère mon flotteur juste à temps pour m'avachir dessus avant l'arrivée de la dernière ligne de mousse. Je n'essaie même plus de plonger. Avec un peu de chance, mon poids suffira à me maintenir sur place. C'est qu'il en faut de l’énergie pour déplacer 90kg de viande inerte!

Je rame à nouveau vers le large, encore plus épuisé qu'avant et sans grande conviction. L'accalmie est assez longue pour me permettre d'aller me réfugier au delà des premières mousses. Je m’assois à nouveau sur ma planche pour me reposer et m'étirer. Le feu dans mes épaules s'estompe petit à petit. Mon esprit est déjà dans le parking. Il doit être 14h passées. Je suis à l'eau depuis deux heures. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir manger une fois que j'aurai fait les 45 minutes de route qui me ramèneront chez moi? Ça fait longtemps que je n'ai pas avalé un kebab. Demain midi peut être? À moins que je ne jette mon dévolu sur un bobun...

La vision d’une masse en mouvement surgie de nulle part m'arrache soudain de mes pensées. Elle est là, à quelques mètres de moi, et elle est parfaite! "C'est la bonne" me hurle une petite voix dans ma tête. Le temps de faire demi-tour, et sa lèvre est déjà sur le point de casser juste à côté de moi. A ma gauche, une longue pente régulière et parfaitement lisse me tend les bras. L'adrénaline se répand dans mon corps à la vitesse de l'éclair, la fatigue n'est plus qu'un mauvais souvenir. Je bondis littéralement en avant à la poursuite de cette vague inespérée. Je la sens m'emporter, mon rail est déjà planté, le take-off n'est qu'une simple formalité. Pour une fois, mes pieds sont parfaitement placés et j'attaque direct. Première descente, ma planche accélère, comme en chute libre. Elle vibre tandis que son rail mord en un long bottom. Il y a de quoi faire, et je ne veux pas prendre le risque de me faire sortir, je déclenche donc mon top turn assez tôt. Coïncidence, c'est à ce moment que la crête décide de péter, ma manoeuvre se termine en flotteur improvisé. Ça s'écroule à nouveau quelques mètres plus loin, deux coups de pompe me permettent de passer in extremis, façon Indiana Jones qui se glisse sous la porte du temple, pour rejoindre la section. Je m'entends hurler de joie. L'autoroute du plaisir s'ouvre à présent devant moi et j'enchaîne les rollers rageux jusqu'à ce que la vague me dépose sur la plage.

Les bras levés au ciel en signe d’exaltation, je jette un rapide coup d'oeil autour de moi, afin de vérifier si mon orgueil pourra se gargariser d'un quelconque public. Rien. Pas de promeneur curieux ou de surfeur en attente de vague et dont mes acrobaties auraient capté l'attention. Ce n'est pas ce soir que je passerai au JT et que les sponsors se disputeront mon talent.

Pourtant, la scène était digne des meilleurs clips promotionnels du circuit pro. Voyons voir: un bottom... Mouais, l'adrénaline en moins, ça devait d'avantage ressembler à un virage poussif. Quand au flotteur, je n'imagine à présent que trop bien mes bras gesticulants pour ne pas perdre l'équilibre tandis que, les fesses en arrière, je dégringole maladroitement la mousse. Bon, j'ai en revanche clairement senti l'accélération lorsque j'ai connecté ces deux coups de pompe... Il faut dire que ça ne devait pas être bien vif jusque là. Et puis en ce qui concerne mes fameux "rollers rageux", je sais trop bien -grâce aux GoPro des copains- à quoi ils ressemblent: brassage d'air en bonne et due forme, trajectoire vaguement sinusoïdale.

L'illusion brisée, la cruelle réalité me revient au visage comme un molard craché face au vent: Je suis et resterai un noob pour de nombreuses années encore. Peu importe la couche de vernis que mes sensations poseront sur ces souvenirs, il n'y aura jamais que moi pour les trouver extraordinaires. C'est clair que du point de vue du plaisir, c'est suffisant, mais pour ce qui est de pécho des meufs à gros seins sur la côte californienne, c'est la putain de loose.

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A
C'est dingue ! je croirai m'entendre penser... sympathique à lire on continue.
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