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Surf loose report

Chroniques de la loose surfistique ordinaire

Anatomie d'une session

La guérite, 14h.

Pendant que j'attends patiemment la 274ème gauche glassy de cette session complètement incroyable, je me repasse le film des quatre-vingt dix dernière minutes à la recherche d'un sujet susceptible d'alimenter mon prochain article. La pêche n'est pas fameuse: à part cette grosse gifle que m'a collé la crête d'une vague sur laquelle je me suis rendu coupable d'un excès d'optimisme, il ne s'est rien passé de plus exceptionnel que ces exploits habituels qui m'ont valu le rang de divinité aux yeux des dauphins du littoral. (D'ailleurs, si vous me lisez, chers amis cétacés, merci d'arrêter de m'envoyer des offrandes. J'aime bien le hareng, ce n'est pas la question, mais quand je m'absente un weekend, ça pue grave dans ma boite aux lettres, et le livreur UPS commence à trouver vos paquets suspects.)

Bref, cette absence de fait individuellement hors du commun n'empêche pas cette session de présenter un caractère tout à fait remarquable dans son déroulement global, à savoir qu'elle est fichue comme toutes les autres!

Je m'en rends compte à présent. Peu importe que les conditions soient parfaites comme aujourd'hui, ou tout juste exploitables, mes sessions de surf suivent toutes un schéma immuable dont j'ignore par ailleurs s'il m'est exclusif ou s'il fait partie du patrimoine culturel commun aux surfistes du monde entier:

Gavage => loosage => mendiage => miraclage.

D'aussi loin que je me souvienne, mes sessions ont toujours commencées par une première vague hors normes. Par "hors normes" j'entends: largement au dessus du lot à venir et généralement excellente au vu de ce que les conditions m'autorisent à espérer. Aujourd'hui par exemple, c'était une gauche interminable que j'ai surfé à peine deux minutes après m'être mis à l'eau. Est-ce lié à l'absence de fatigue? À la chance du débutant? À l'âge du capitaine? Je l'ignore et quelque part, je m'en fous. Toujours est-il que cet état de grâce dure en général un bon quart d'heure au cours duquel je me gave (dans la limite des stocks disponibles) comme une amatrice de bukkake face à un frigo ouvert de la banque du sperme.

A l'issue de cette première phase, je rentre invariablement dans la phase de loosage. Phase qui peut durer entre une demi-heure et une heure, en fonction de la durée totale de la session. C'est le moment où je commence typiquement à me placer trop bas et à prendre les séries sur la tronche, puis à compenser en me plaçant trop haut et à ne plus rien choper. Je peux aussi faire le va-et-vient entre deux peaks en me débrouillant avec une exactitude scientifique pour ne jamais être sur celui qui marche. C'est le moment de la session où je vois les plus belles vagues passer, mais sans moi dessus. A chaque fois je me dis "bon sang, si j'avais ramé vers là une minute plus tôt..." et je cours après un bon placement sans jamais réussir à le rattraper.

Enfin, grâce à la frustration et la fatigue accumulée par la phase 2, je passe à la phase 3: le mendiage. A ce stade, je suis prêt à tout pour prendre des vagues, n'importe lesquelles. Je sais que la session s'achève: Mon horloge biologique m'indique qu'il faut retourner au boulot. Mais je ne peux décemment pas sortir de l'eau sans avoir capté une dernière vague potable. C'est en général à partir de là que je commence à faire n'importe quoi. Je me lance sur toutes les vagues qui ferment, démarrant parfois même au coeur de la mousse dans l'espoir vain de rattraper une section qui n'a jamais existé. En général à ce stade, je me sens comme un clodo de la mer prêt à donner un rein pour une dose. Malheureusement pour ma fierté, cette phase peut durer très longtemps. Très, très longtemps. Plus je fais n'imp', plus je fatigue, et moins j'ai de chances de m'en sortir avec les honneurs. Commence alors un combat acharné entre mon corps et mon orgueil, dont chacun sait à l'avance qu'aucun n'en sortira grandit.

Il faut toujours un miracle pour mettre fin à la session. Ce miracle peut prendre la forme d'une vague que je n'attendais plus et qui me délivre enfin de mon obligation morale d'avoir terminé sur un bon surf. Mais comme les voies du saigneur sont impénétrables sauf avec le poing, un miracle peut avoir mille visages. Et ce visage est parfois... souvent... plus souvent que je ne veux l'admettre, celui de l'homme qui accepte enfin d'abandonner son amour propre et une partie de sa virilité pour rejoindre le parking. Celui de l'homme qui rame jusqu'à la plage comme une grosse merde, au milieu des stagiaires du cours de surf dressés sur leurs destriers de mousse pendant que lui se contente de glisser sur l'écume à plat ventre, les yeux rougis par la honte et le sel, tel un phoque gris paraplégique atteint de la myxomatose. Le miracle de celui qui, humble face aux éléments, accepte sa défaite et s'oublie dans le renoncement.

On est d'accord, c'est pareil pour tout le monde... non?

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D
Tellement vrai !
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S
Idem
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J
Génial cet article, en le lisant j'avais vraiment l'impression de revivre ma dernière session ! Je vois que finalement sous nos cagoules / combis et nos airs assurés de Bodhi en état de grâce, on vit tous la même chose dans l'eau !
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L
Moi j'ai aussi la phase bobo où je me fais très mal avec une des parties contondante ou coupante de ma board
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C
Je me suis aussi poser la question, je pense que c'est un mixe entre physique, placement , du coup j'essaye de me fouetter pour me motiver à bouger quand le peak deviens pourri ou que je décale, et ne pas tomber dans une espèce de paresse du rester sur place.
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R
Moi pareil mais sans la phase gavage au début...
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U
I feel you, bro.
A
C’est trop vrai !!! Je ne suis pas tout seul alors ;-)
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U
Du coup, je ne suis pas tout seul non plus! Ma vie prend un sens, enfin.