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Surf loose report

Chroniques de la loose surfistique ordinaire

1m70

Carrownisky, 14h.

Ça y est, c'est l'heure de vérité! D'après magicseaweed, le site de prévisions "de référence" autoproclamé, dont le sérieux est garanti à grand renfort de diagrammes compliqués et de cartes en couleurs, la houle tant attendue pointe enfin le bout de son nez. Et quelle entrée en fanfare! Pas moins d'1m50 au programme, pour des séries annoncées allant jusqu'à 1m70, une fois la houle transformée en vagues. Autant dire que je suis au taquet! D'autant que j'ai négocié une demi-journée exclusivement dédiée au surf.

Je m'étais donc mis en route pour le conté de Mayo où, en plus des Mayonnais et des Mayonnaises, se trouve, à un quart d'heure de route à peine d'une autre plage appelée "White Strand" et qui constitue vis à vis de ma famille le prétexte officiel de notre périple, l'un des spots les plus réputés du pays: Carrownisky. En passant devant les chutes d'Aasleagh, situées quelques centaines de mètres après le "Carraig Bar" qui revendique haut et fort son titre de "dernier pub du Connemara" (géographiquement parlant, bien entendu... L'alcoolisme étant loin d'être en danger dans ces contrées), je longe la rive nord du Killary fjord (le seul fjord Irlandais au monde!) avant de mettre le cap au nord-ouest vers ma destination.

Premier constat: les routes sont aussi barrées que dans le Connemara. Les "grands axes" font à peine plus de 5m de large, le goudron est défoncé par le passage des tracteurs et l'humidité, des moutons campent en plein milieu de la voie et nous toisent d'un regard empreint de localisme, les promeneurs et les vieux marchent le long de ces interminables lignes à la destination incertaine... et de temps à autre, un panneau nous rappelle qu'il est tout à fait légal d'y rouler à 100km/h, ce que ne se privent d'ailleurs pas de faire les locaux, qui mettent deux roues dans le fossé pour doubler mon quivermobile dont l'allure le fait pourtant bondir d'une bosse à l'autre.

Arrivés à White Strand en vie, ce qui constituait déjà un exploit en soi, nous avons pris notre première claque de la journée: l'endroit était totalement surnaturel: un estuaire entièrement ensablé formant une plage triangulaire de plus d'un kilomètre de profondeur pour trois de large. Et si le maigre cours d'eau qui s'y déversait dans la mer après avoir serpenté entre les dunes ne présentait aujourd'hui pas de danger, de nombreux panneaux nous rappelaient que plus d'un touriste s'y était fait piéger par la marée. Le parking, étonnamment grand en comparaison du chemin à vaches qui y menait, était complètement désert, comme à peu près tous les endroits que nous avons visités en dehors des circuits touristiques habituels, et nous avons ainsi pu profiter du site en totale exclusivité. S'il m'avait semblé voir, depuis le chemin qui surplombe la côte, quelques lignes de houles plus au nord, il n'y avait ici qu'une quarantaine de centimètres à dérouler sur le banc de sable. A voir la propreté des lignes en revanche, on imaginait assez bien à quel point le spot doit être en feu lorsqu'il fonctionne. Je n'ai d'ailleurs pas pu m'empêcher de prendre en photo le beau panneau installé à l'entrée du parking et destiné à rappeler à tous l'étiquette du surfeur et autres règles de priorité. Une belle initiative qui mériterait d'être imitée plus souvent sur nos côtes.

Le pic-nic avalé, je remettais fébrilement le contact vers ma destination finale. Moins d'un quart d'heure plus tard, et après être venu à bout d'une route qui ferait passer le chemin de la guérite pour une voie express, me voici enfin face au plus gros spot de la région, et à ma première opportunité de faire du surf pour de vrai...

...et c'est là que j'encaisse ma deuxième claque parce qu'apparemment, les modèles de prévision Irlandais sont à l'échelle Lépreuchaun...

1m70, ça??? Des lignes mollassonnes à peine plus hautes que le genou? Je rallume l'écran de mon portable, incrédule, pour m'assurer que je ne me suis pas gourré de spot. Mais non, pas d'erreur, il n'y a qu'un seul "Carrownisky" dans le pays, et je repère derrière moi la caisse de semi qui fait office de local pour l'école de surf. Les prévisions sont formelles: c'est une session trois étoiles! D'ailleurs l'affluence du spot n'y trompe pas: il y a au moins quatre gusses à l'eau (dont un SUP gonflable) et le double de bagnoles dans le parking avec des mecs en train de préparer le matos d'un air impatient ce qui, quand on est habitué à la surpopulation typique du pays, est quand même assez énorme.

Aujourd'hui, plus que n'importe quel autre jour dans toute ma vie de surfeur, ma seule et unique raison d'aller à l'eau se résume à "et puis merde, j'ai pas fait la route pour rien". Et quelle route! 3h de bagnole jusqu'à Roscoff, 12h de bateau, une nuit à l'hotel puis 4h de route entre Cork et le gite où nous passons la semaine, et encore 1h30 pour atteindre ce putain de spot... Si l'on fait abstraction des autres (excellentes) raisons de ma présence ici, j'ai fait plus de deux tours de cadran pour une pauvre session moisie comme je peux m'en payer tous les jours sur les grandes plages. 1m70? Si je tenais l'enculé qui a pondu ce modèle, je le balancerais à port rhu dans un vrai mètre soixante-dix avec une licorne gonflable dans le derche, histoire qu'il comprenne une bonne fois pour toutes qu'on n'a pas le droit de décevoir les gens à ce point.

Mais j'y crois dur comme fer à cette session, d'une part parce que je n'ai pas le choix, et d'autre part parce que... parce que je n'ai pas d'autre part, alors faisez pas chier! Je me change, je dégaine la Cymatic toute pleine de cicatrices et je file à l'eau. Première bonne surprise: l'ambiance. Les mecs en me voyant arriver font carrément le détour pour venir me saluer. Mais pas saluer genre "c'est qui celui là, qu'est-ce qu'il fait ici", non, un vrai accueil à la fois amical et chaleureux "ça fait plaisir de voir une nouvelle tête, passe une bonne session". Rien que pour ça, on peut dire que la session est sauvée. La réputation des Irlandais n'est décidément pas une simple légende, sur le spot comme au pub, la spontanéité et la sincérité avec laquelle ces gens nous abordent est désarmante.

La formalité de cette interaction sociale forcée accomplie, j'essaie de me concentrer sur mes vagues. D'autant que ma femme est au bord avec un téléobjectif et que je me suis assuré qu'elle avait déjà mitraillé tout ce qu'il y avait d'intéressant à mitrailler. Je constitue par conséquent le seul sujet valable restant à photographier. Il serait donc de bon ton d'assurer au moins une paire de glisses avant qu'elle ne décide d'aller voir ailleurs si j'y suis. Hélas, c'est poussif, très poussif. Les vagues se brisent et se reforment à plusieurs reprises sans jamais accumuler assez de puissance pour me filer le coup de pied au cul dont j'ai besoin pour plaquer un 12-18, sans compter sur l'épaule que j'ai réussi à me mettre en vrac en enfilant la combi. Au bout d'à peine un quart d'heure, je remonte chercher l'Evo dans l'espoir de capter d'avantage de pentes à exploiter.

De retour dans le... parking(?), un type me demande comment sont les vagues. J'imagine qu'il essaie juste d'engager la conversation car les susdites vagues pètent au nez du camtard. Je lui fais part de mon ressenti: "it's weak", il semble surpris. De retour à l'eau, je croise même un poids lourd (genre le double de mon gabarit) en malibu qui me lance un "what a lovely session, the waves are just perfect!". Excès d'optimisme, manque de réalisme ou ignorance crasse? J'ai l'impression d'être dans une dimension parallèle. Suis-je le seul à ne justifier ma présence ici que parce que je n'ai rien de mieux à faire? A l'eau, le niveau n'est pas folichon, ce n'est pourtant pas faute d'avoir entendu le plus grand bien des surfeurs Irlandais. Au moins pour une fois je n'ai pas à avoir honte de mon surf. Grâce à l'Evo, j'accroche quelques pentes et pose une paire de virages poussifs, rien qui ne mérite d'être immortalisé sur pellicule, mais au moins l'honneur est sauf.

Voyant mon grand, à qui j'ai filé le knacki-ball pour jouer au bord, filer vers le sud à la faveur d'une baïne pendant que son petit frère termine de mouiller son dernier pantalon sec dans une flaque d'eau, j'estime qu'il est l'heure de remballer. Il était temps, ma femme était sur le point de foutre le camp avec mon camion. Je ramasse les gosses et rhabille les planches avant de jeter un dernier regard sur le plan d'eau qui commence à être de plus en plus dégueulasse à mesure que la marée monte et que le vent rentre onshore. Putain, tout ça pour ça...

1m70, je te jure...

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C
@alyein salopard , je suis le ben gravy français, tu n'a pas vu mes exploits dans du 50cm creux =) .<br /> Pas de chance pour les différences de perceptions sur les spots peut être pas la bonne saison ?
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U
Je pense surtout que c'est leur site là "magicseaweed"... Le mec qui tient ça n'a jamais vu une vague de sa vie. Encore 1m de prévu aujourd'hui, et DunLaughin était aussi agité qu'une tasse de thé froide.
A
Ps : aucune ironie calli et j’espère que tu la retrouveras ;-)
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A
Et sinon je me demandais... Est-ce qu’ils prennent leur pinte avec eux quand ils surfent? Genre ils ont pas un petit support à lavant de la planche ? Ben quoi y’en a bien qui mettent des go pro ;-)<br /> Profite bien des paysages du coup à défaut des vagues ;-)
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U
Impossible pour les pintes, la Guinness ne supporte pas d'être secouée. Du coup, ils la boivent dans le parking. Avant et après la session. Et aussi pendant, quand ils font une pause.