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Surf loose report

Chroniques de la loose surfistique ordinaire

Sauvetage matinal

La guérite, 7h30.

Le soleil n'est pas encore levé mais on y voit déjà presque assez bien pour se faire une idée des conditions et constater que ça n'a pas l'air trop vilain. En même temps, je préparais cette session depuis la veille et le choix du spot, comme de l'heure, avait été établi avec l'aide d'un comité d'experts et en utilisant des technologies de pointe telles que le doigt mouillé pointé vers le ciel et la poignée de sable jetée en l'air. L'objectif était simple: profiter des derniers restes de houle avant que la marée ne soit trop basse, que le vent ne tourne, et que les plages ne fonctionnent plus.

Dans le parking, un camion aménagé héberge les inévitables affamés venus passer la nuit sur place pour être les premiers à l'eau, mais qui dorment généralement tellement mal qu'ils n'émergent la plupart du temps qu'une fois la fête terminée. A côté, trône le kangoo/partner/berlingo d'un mec qui revient juste de checker, mais prend le temps de s'allumer une clope, comme si il n'y avait aucune urgence à la situation... L'inconscient! Je serai donc officiellement le premier à l'eau, une fois de plus.

Parce qu'elle n'a pas touché la mer depuis un bail, et que les conditions du jour ont l'air de s'y prêter, je sors la Cymatic de sa housse. Son regard réprobateur en dit long sur l'amertume qu'elle nourrit depuis que Linette est entrée dans nos vies. Je l'incite toutefois à profiter du moment au lieu de bougonner, car sa place à mes côtés ne tient qu'à un fil. A la moindre crise d'hystérie, elle retourne direct dans le râtelier!

L'eau est un peu plus froide que hier. Ou alors c'est la fatigue? Inviter des voisins à vider un seau de punch une veille de session, c'était vraiment pas une bonne idée... Les vagues sont agréables à regarder mais montent péniblement plus haut que le genou et manquent franchement de patate. A la force de mes bras courbaturés, j'arrive à en choper quelques-unes, mais ça se termine en moustache avant d'avoir pu poser le moindre virage. A mesure que les minutes passent, que la mer descend et que les vagues s'amenuisent, l'inquiétude monte.

Papa_école_surfeur, à qui j'avais refilé le tuyau percé, me rejoint bientôt. On ne peut pas me reprocher d'avoir été malhonnête avec lui: au moment où j'avais écrit "ça le fait", ça le faisait. Sauf que le temps qu'il me rejoigne, les choses avaient viré à la limite de l'insurfable. Nous nous acharnons un petit quart d'heure supplémentaire, le temps de prendre quelques vagues minables, avant de décider de tenter un sauvetage plus au sud. Parce qu'honnêtement, ça me ferait mal de m'être levé à 6h du mat pour finir là dessus. Du fait des gros coeffs, la marée descend vite, très vite même, et nous estimons qu'il y a certainement un coup à jouer à la côte sau dans le prochain quart d'heure.

En remontant vers le parking, je croise le collègue à qui j'ai aussi refilé des infos en carton, et qui s'apprête à se mettre à l'eau avec un de ses potes. Je lui fais expressément part de ma dernière mise à jour: "Ça s'est complètement cassé la gueule, c'est limite plus surfable. On se replie sur port-pigeon". Mais le bougre est têtu et ne remontera pas dans sa voiture avant d'avoir vérifié par lui-même. Je ne le reverrai plus de la matinée. Le siège grossièrement protégé par la chaussette de la Cymatic (qui fera la route à poil pour la peine), je trace dans le sillage de papa_école_surfeur en direction de notre prochain spot.

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Port blanc, 8h30.

En passant la tête par dessus la dune, un immense soulagement m'envahit. C'est pas Bali mais ça marche à pigeon! On va pouvoir faire du surf. Ironie du sort, la marée est pile à la même hauteur que lorsque nous étions partis hier sauf que, cette fois, elle est sur la descendante, ce qui signifie que les choses ne peuvent aller qu'en s'améliorant. "On va pouvoir se faire la marée à l'envers!" me glisse mon compatriote rural. Je chasse vite de mon esprit toutes les blagues grivoises que cette phrase m'inspire. L'heure n'est pas aux trivialités mais à la délectation.

Pour éviter de la frustrer plus qu'elle ne l'est déjà, je donne à ma Cymatic une deuxième chance de me ravir. Il existe certes un risque non négligeable qu'en découvrant, le banc de sable fasse gonfler et creuser les séries comme hier (auquel cas, son "double bat tail" -traduisez "gros cul"- se révélera un handicap certain pour garder le contrôle de ma planche), mais la houle vivant ses dernières heures, je parie plutôt sur le fait que le susdit gros cul me garantira un maximum de glisses dans des vagues faiblissantes.

Tout en marchant le long de la falaise, en direction de notre mise à l'eau, nous nous délectons d'un plaisir rare: le spot est absolument désert. Et un spot désert qui se paye en plus le luxe de fonctionner, ça n'a pas de prix! Peu importe si les séries deviennent rares ou espacées (ce qui n'est pour l'instant pas le cas), quoi qu'il arrive elles seront pour nous et nous seuls. En nous jetant par dessus le shore-break pour rejoindre le peak, nous ne pouvons nous empêcher de partager un cri de guerre "Ouaiiiis gros, représente les ploucs de l'arrière pays!". Enivrés de notre propre chauvinisme, nous échangeons même un signe de gang, en plaçant le dos de la main droite sur notre front, index levé au ciel et pouce à l'horizontal, de sorte à former le "L" de Loos... du nom de notre village.

C'est moins gros que hier, et il n'est même pas question de chercher à taquiner un tube qui n'existe pas, mais les séries nous offrent quand même de belles descentes, alternant pentes bien raides et longues reformes m'autorisant à placer quelques manœuvres. Encore une fois, ça ne fonctionne pratiquement qu'à gauche. Les droites sont rarissimes et s'essoufflent quasi-instantanément. Étant tous deux goofy, nous ne boudons pas notre plaisir. Pour la répartition des vagues, c'est chacun son tour. Et s'il choisit mieux ses morceaux que moi, le hasard me procure néanmoins quelques perles sorties de nulle part. Évidemment, je ne rate pas non plus une occasion de me faire enfermer. J'estime rapidement que le volume de flotte captif dans mes sinus suffirait à élever une famille de crabes.

S'il n'y avait pas la fatigue cumulée des sessions précédentes et de mes excès noctambules, le surf aurait presque été facile. Mais dans mon état actuel, j'arrive même à rater quelques take-offs par manque de niaque. Passage de barre après passage de barre, j'ai de plus en plus de mal à remonter au peak. Mes épaules se raidissent progressivement comme si chaque minute qui passe les faisait vieillir d'une année entière. A chaque secousse, mon squelette fait un bruit de vaisselle cassée. La raison voudrait que je sorte, mais l'addiction m'en empêche.

Du côté de port rhu, ils sont à présent une poignée à ramer sur le plus gros peak. A port blanc, une demi-douzaine de personnes semble s'être paumée à la sortie de l'ascenseur, où rien n'est calé. Au moins la moitié du peloton chevauche des moussus. De loin, nous voyons les Malibu en plastique se faire projeter dans les airs à chaque raclée encaissée par leur propriétaire. Et pendant ce temps, a Vera Cruz, personne à l'horizon pour nous polluer nos lignes.

La mer est presque complètement basse lorsque le vent commence à tourner. A peu près au même moment, une deuxième houle vient foutre la merde pendant que la principale termine d'agoniser. Les vagues se mettent à croiser et/ou à partir en escalier. Cette conjecture de facteurs coincide peu ou prou avec le moment où nous estimons ne plus être en état de surfer. Nous cherchons notre dernière vague sans le moindre regret, nous avons eu plus que notre compte.

Pour terminer en beauté, je trouve le moyen de me faire éclater contre ma planche par une vague qui se met à déferler plus tôt que prévu. Dévalant d'abord la pente à plat ventre, je trouve dieu sait où l'énergie d'arracher ma carcasse à l'écume et de finir ma descente debout. Alors que je me félicite intérieurement de ne pas avoir ajouté une nouvelle luge à mon impressionnant palmarès, la vague se reforme soudain brutalement sous l'action de la houle secondaire. Le rail bien planté dans la pente, j'attaque une seconde descente à toute allure avant de me faire éclater par la fermante. Coup de sifflet, fin du match.

Je retourne à la plage, non sans m'offrir un rapide détour par l'ascenseur de port blanc pour constater que c'est encore plus le bordel là bas, puis remonte jusqu'à mon camion, boitillant et courbaturé comme un petit vieux. Bilan des courses: on est trop vieux pour ces conneries...

Mais c'était quand même un sacré sauvetage!

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D
Parce qu'elle n'a pas touché la mer depuis un bail, et que les conditions du jour ont l'air de s'y prêter, je sors la Cymatic de sa housse. Son regard réprobateur en dit long sur l'amertume qu'elle nourrit depuis que Linette est entrée dans nos vies. Je l'incite toutefois à profiter du moment au lieu de bougonner, car sa place à mes côtés ne tient qu'à un fil. A la moindre crise d'hystérie, elle retourne direct dans le râtelier<br /> <br /> MDR
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U
Et ouais, les planches c'est comme les bonnes femmes. Faut savoir être ferme ! (Pourvu que la mienne ne lise jamais ça...)