Dreambreaker

30 Octobre 2018

Quelque part loin de la mer, 13h.

Deuxième jour d'exil, et pas grand chose à faire de la journée à part écouter le boss déchiffrer les diapositives que le département qualité lui a collé dans les pattes. Entre deux diagrammes sans queue ni tête que même lui renonce à justifier, il nous explique comment faire ce qu'on sait déjà faire. La digestion du kebab de midi accapare mes dernières ressources physiques et j'éprouve la plus grande difficulté à garder les yeux ouverts. Aussi distraitement que discrètement, j'explore le disque dur de mon ordinateur à la recherche d'un élément susceptible d'éveiller mon intérêt autant que de m'éveiller tout court. C'est alors que je tombe inopinément sur un répertoire intitulé "surf" dans lequel de vieilles vidéos prises à la GoPro attendent le regard indulgent d'un spectateur désespéré. Genre moi à ce moment précis.

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais les vidéos sont toujours moins bien que la réalité. En tout cas que la perception que nous avons eu de cette réalité, au travers le kaleidoscope de nos sensations. Cette session entre amis avait pourtant été mémorable. A tour de rôle, nous avions assumé le rôle du caméraman, attendant patiemment dans les mousses une opportunité d'immortaliser les exploits de nos pairs. Chacun d'entre nous avait donné tout ce qu'il avait pour offrir à l'objectif des tricks dignes de Kelly Slater. Je me souviens notamment d'un flotteur de toute beauté offert par mes soins à l'objectif. Et puis il y avait ce surf backside droit vers la caméra, avec un top turn assez appuyé si mes souvenirs sont bons...

En visionnant une nouvelle fois les fichiers vidéos, j'éprouve le même sentiment que lors de la soirée où nous avions visionné les rushs ensemble: "C'est dommage qu'on n'ait pas réussi à filmer les bonnes vagues, celles-ci sont vraiment toutes pourrites". Même avec le mode ralenti automatique supposé souligner les moments les plus forts, l'image ne dégage aucune puissance, je me vois simplement glisser le long de pentes mousseuses, les fesses en arrière et l'oeil hagard. Décevant.

Et comme cette réunion est décidément plus ennuyeuses encore que les vidéos, ce qui n'est pas peu dire, je clique à nouveau sur le troisième fichier de la liste "FHD0006.mov", pour relancer la vidéo en mode image par image cette fois, afin d'analyser l(absence d)'action plus en détail... C'est alors que la terrible vérité éclate tel un éclair déchirant les ténèbres: au cours d'une poignée d'images consécutives, je découvre abasourdi que ma planche évolue bel et bien sur le dos de la lèvre, laquelle s'écroule aussitôt en une avalanche de mousse, avant de m'emporter à ses pieds. Par de doute, c'est le fameux "flotteur".

"FHD0009.mov" est tout aussi cruelle: il s'agit indiscutablement du backside motherfucking top turn, point d'orgue de cette session, sauf qu'au travers l'oeil de la caméra, on ne remarque même pas que je tente un virage, par contre on voit parfaitement mon air absurde lorsque j'agite vainement les bras pour tourner, le corps figé dans la pause dite "des chiottes à la turque".

Heureusement pour mon égo, mes potes sont à la même enseigne, grâce notamment à "FHD0011.mov" où mon-copain-qui-bosse-en-slip (il se reconnaîtra) termine un magnifique bottom frontside en se faisant catapulter par la crête de la vague, voltigeant quelques instants dans la position de l'écureuil volant, avant de faire stopper en plein vol par son leash.

Putain de caméra briseuse de rêve! Pourquoi est-ce que tu n'as pas eu la délicatesse de tomber en panne?

Bon c'était au mois d'avril dernier, j'ai fait d'énormes progrès depuis... Oui je sais, je n'ai pas touché à une planche de l'été, mais que voulez-vous c'est inné chez moi, je me lève le matin et "pouf" je suis devenu meilleur que la veille. Bref, lors du prochain tournage, c'est sûr, je vais crever l'écran!