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Surf loose report

Chroniques de la loose surfistique ordinaire

Régression pagayistique

La Guérite, 15h30.

Ça fait une semaine que le vent est tanké à l'est, sans dépression au large pour alimenter la rentrée de houle. Du coup, session après session, j'ai pu voir les vagues diminuer inexorablement en volume et en fréquence. Et lorsque j'inspecte à présent le plan d'eau pour choisir ma planche, mon coeur balance entre faire -encore- le choix raisonnable mais terne d'un longboard spécialement prévu pour ce genre de conditions, ou d'opter pour une planche plus maniable mais moins adaptée.

Attention, j'ai énormément de respect pour les longboarders. C'est juste que la discipline ne me correspond pas. Mon truc à moi c'est d'aller aussi vite et de tourner aussi fort que je le peux (évidemment, tout est relatif. Mon niveau quasi-divin ne trouvant pas de matériel capable d'en exprimer toute la dimension). Alors du coup, lorsque j'utilise (mal) mon longboard en substitution d'une planche plus petite quand les conditions m'y contraignent, je suis forcément un peu frustré niveau sensations. L'image qui me revient souvent en tête lorsque je déroule une longue ligne en essayant vainement de slalomer sur la surface de la vague, c'est celle du TGV 7128 en provenance de "Peak" et à destination de "Plage" qui arrivera en gare à l'heure prévue, sauf en cas d'accident de personne sur les voies (il y a toujours un malade pour se jeter sur les rails et faire chier tout le monde).

Bref, je me décide pour la grosse fish de 7' "seulement", en dépit de conditions manifestement défavorables, et cela malgré un soleil toujours aussi hors-sujet pour ce mois d'octobre.

Vacances obligent, le plan d'eau est saturé de débutants qui ne possèdent ni la maîtrise de leur flotteur, ni la moindre connaissance des règles les plus élémentaires de sécurité. Après m'être fait refuser une bonne douzaine de priorités (c'est à dire la quasi-intégralité des quelques vagues prenables avec ma fish) et avoir évité de justesse un nombre considérable de planches en mousse abandonnées dans les remous par leurs propriétaires tombés à l'eau, je vais finalement chercher refuge à la limite des zones protégées par les moniteurs vindicatifs des écoles de surf locales, et au sein desquelles leurs stagiaires échappent de justesse à la noyade.

Les vagues se font de plus en plus rares et je désespère d'en avoir une seule potable d'ici qu'il soit l'heure de retourner au boulot, lorsque soudain je l'aperçois! Décrivant de larges cercles autour de moi, son aileron fendant la surface de l'eau, ce prédateur parfaitement équipé pour ne laisser aucune chance à sa proie me fixe de son oeil d'un bleu métallique glacé dont ne se dégage aucune émotion. La pale de son appendice de propulsion frappe la surface de l'eau avec une régularité menaçante tandis qu'il resserre ses cercles en attendant un signe de faiblesse de ma part. Même avec ma modeste expérience, je sais que je n'ai aucune chance face à ce mastodonte des mers à la volonté implacable: Le PADDLE!

Plusieurs représentants de cette espèce avaient déjà fait démonstration de leur détermination et de leur capacité à capter la moindre vague pour ne laisser aux surfeurs affamés que les restes de leur festin, se baffrant de tout ce qui se présente à eux sans chercher à se satisfaire seulement des mets les plus raffinés, mais celui-là avait en plus ce petit je-ne-sais-quoi qui vous noue le ventre au premier regard. Les bras crispés, les fesses en arrière, la pagaie tremblante, il présentait tous les signes du type qui va bientôt vous envoyer sa péniche en travers de la tronche.

Première série, les vagues arrivent plutôt de mon côté. J'ai l'avantage de la priorité. Qu'à cela ne tienne, mon nouveau compagnon me contourne d'un vigoureux coup de rame. Je ne cherche même pas à lutter, il y a tellement peu de place entre moi et l'épaule de la vague que cela n'aurait aucun sens de me décaler d'avantage. Cela ne semble toutefois pas le préoccuper puisqu'il démarre carrément dans la mousse pour ensuite me foncer droit dessus. Inutile de chercher à faire valoir une quelconque règle de sécurité ou de politesse, le type semble planer largement au dessus de ce genre de considérations bassement matérielles. La deuxième vague ne sera guère plus rassurante puisqu'après être revenu se placer juste à mes côtés, il me colle tellement à la rame que j'évite de justesse un coup de pagaie dans la tronche.

Le pire dans l'histoire c'est que le mec semble inspiré par mon charme magnétique et revient systématiquement se coller à moi où que je me place. Je suis en quelques instants devenu sa patte de lapin, son aimant à vagues, son guide spirituel. Il faut dire que mon habileté à dénicher les bancs de sable secrets est légendaire sur toute la côte. Acharné, il me colle aux basques comme une sangsue sur le cul d'une chèvre et réussit avec une constance sidérante à gâcher le peu de vagues qu'il m'aurait été possible de prendre.

Si encore il profitait des vagues qu'il me taxe, j'aurais pu me dire "bon, il se fait plaisir, ça va lui passer". Mais à peine le loustic réussit-il à s'élancer à mes dépends sur une pente providentielle qu'il se fait prématurément sortir malgré ses coups de pagaie frénétiques et revient chercher la suivante pour retenter sa chance. Il ne faut pas être ingénieur en aérospatiale pour voir qu'il se tient beaucoup trop à l'arrière de son flotteur, lequel se dresse face au ciel tel un chibre de résine défiant l'Olympe, refusant en toute logique d'avancer au rythme de la vague. J'essaie d'imaginer ce qui peut se passer dans sa tête, alternant, tel Cyrano dans sa tirade, les déclinaisons imaginaires:
- Ignorant: "Oh putain, je suis en train de me faire sortir! RAME RAME RAME RAME RAME. Pourquoi ça marche pas?"
- Surbooké: "Oh putain, je suis en train de me faire sortir! RAME RAME RAME RAME RAME. Je trouverai bien le temps de me replacer plus tard."
- Méprisant: "Oh putain, je suis en train de me faire sortir! RAME RAME RAME RAME RAME. La position, c'est pour ces tapettes de surfeurs."
- Candide: "Oh putain, je suis en train de me faire sortir! RAME RAME RAME RAME RAME. Mais qu'est-ce que je fais là?"

Quelle que soit la cause de sa négligence, le pauvre bougre dépense une énergie considérable à s'obstiner dans l'échec, et un rapide coup d'oeil autour de moi m'informe qu'il n'est pas le seul SUPeur visiblement débutant (probablement aussi véliplanchiste, rapport aux straps et au wishbone) à qui personne n'a expliqué le principe (ou l'importance) d'une bonne assiette. Ils sont nombreux autour de moi à battre l'eau comme si leur vie en dépendait, sans pour autant réussir à accrocher une vague sur laquelle trois surfeurs évoluent déjà. Deux mots me viennent à l'esprit "Régression pagayistique".

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T
Pas cool Mr PADLE
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