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Surf loose report

Chroniques de la loose surfistique ordinaire

Débutant blues

Chez moi, 16h46.

Depuis que j'ai commencé à consigner à l'écrit mes souvenirs, expériences et réflexions relatives au surf, les réminiscences de mes premières loos... sessions me reviennent en mémoire et m'emplissent de nostalgie. Pourtant ce n'était qu'hier.

J'ai débuté le surf il y a à peine deux ans, à un pet de vache près. Ancien planchiste (d'un niveau pas trop dégueulasse de surcroît) je me souviens avoir passé le plus clair de mon adolescence à railler mes amis surfistes pour leur obstination à exercer le sport qui procure le pire ratio "temps de glisse/temps à l'eau" du monde. A la suite d'une série d'accidents m'ayant au final coûté un tympan, j'ai du renoncer vers l'âge de 20 ans à mon sport de prédilection ainsi qu'à toute autre activité aquatique, faute d'avoir le carafon étanche. Si j'ai continué à pratiquer la glisse sous d'autres formes, il semblait peu probable à l'époque que je consacre un jour mon temps libre à me ridiculiser sur un surf.

A mon retour d'un exil parisien professionnellement nécessaire, et au cours duquel je n'ai que marginalement souffert de mon incapacité physique à mettre la tête sous l'eau, je me retrouvais à nouveau dans ma Bretagne natale, entouré d'amis qui avaient soit continué, soit démarré la pratique de la loos... du surf. Finis les croissants du dimanche matin pour se remettre en douceur de la cuite de la veille. Dès le lever du soleil, mes convives prenaient congé, parfois même en me laissant le soin de fermer leur propre maison, pour suivre la route des grandes plages, planches sur le toit et combi roulée à la taille. Les conversations en soirée tournaient de façon récurrente autour de la dernière session ou machin avait pris une gamelle monumentale et truc avait "posé un drop de ouf sur un peak sorti de nulle part"... CQFD. Même les projets de vacances entre potes avaient pour finalité d'organiser un surf trip assez subtilement déguisé pour que les copines acceptent de venir (et accessoirement de préparer la bouffe). J'étais à la fois jaloux de ce truc qu'ils partageaient et dégoûté d'en être prive. Cela m'a conduit pendant un temps à haïr le surf.

Puis, en 2016, je change de job et mon nouveau collègue est accroc, lui aussi. Session du matin, session du soir, et/ou parfois même entre midi et deux. Non content de vivre à fond sa passion, le bougre fait du prosélytisme dans le bureau! A force d'entendre parler de vagues 8h par jour, j'avoue être de plus en plus tenté par l'expérience, mais je me cache encore derrière l'excuse de mon étanchéité auriculaire. Excuse que mon collègue balaiera sans difficulté: "Tu sais qu'on a fait des progrès en matière de bouchons depuis les années 90?".

C'est donc au début du mois de septembre que j'achetais une paire de "Surf ears", dépoussiérais ma néoprène de jeune homme et empruntais le malibu d'une amie pour ma toute première session. Pour des raisons pratiques, je choisissais en effet de m'initier au surf plutôt que de reprendre la planche. Et quelque chose en moi me disait que j'avais fait le bon choix alors que je me tortillais à 7h du mat, seul comme un ver solitaire, sur le parking désert des crevettes où souffle un vent glacé, dans le but vain de faire rentrer mon surpoids trentenaire dans une combinaison qui était pourtant parfaitement à ma taille à la fin des années 90. Le plan d'eau est crade, un gros on-shore écrase les mousses et forme un clapot impraticable, mais je formulais pour la première fois ce tantra qui me servirait si souvent à justifier ma présence à l'eau au cours des années à venir: "J'ai pas fait la route pour rien".

Cette première session, en plus de créer le référentiel nécessaires au concept du "j'ai surfé pire", fut un franc succès d'estime. Bien que n'ayant aucune expérience en matière de lecture du plan d'eau, et personne pour me conseiller, j'ai réussi à force de persévérance à capter une bonne poignée de mousses. Et si le take-off était évidemment plutôt empirique, la familiarité des sensations et l'aisance ressenties une fois debout étaient de bon augure. Mes années de glisse avaient donc laissées quelques restes.

Dans les semaines qui ont suivi, j'ai bouffé de l'écume à tous les repas. L'automne 2016 a été particulièrement riche en dépressions et, à mesure que je maîtrisais les concepts les plus subtils et les figures les plus radicales sur mon Knacki en mousse, rien ne me faisait peur. Je sortais par tout temps pourvu qu'il y ait des vagues pour me pousser. Avec le recul, c'est de cette excitation des débuts dont je suis nostalgique. Cette envie de glisse quelles que soient les conditions, le plaisir pris dans la moindre mousse dévalée en ligne droite, l'exaltation des premières fois... Je regrette que, session après session, mon corps ait développé -en même temps que des capacités physiques surhumaines- cette accoutumance aux sensations extrêmes que seul un surfeur de mon niveau (n'ayons pas peur des mots: quasi-divin) peut ressentir, de sorte qu'il me faille toujours plus de vitesse, toujours plus de radicalité, pour retrouver le grand frisson des premières fois.

Bien que je me sois constitué, dans un délai très court, un quiver digne des plus grandes légendes Hawaiiennes, il est peu probable qu'à cette époque mes choix de planches aient jamais étés adaptés aux conditions météo. "Ça fait longtemps que je n'ai pas fait de shortboard" était une raison tout à fait valable pour sortir la 5'10" du coffre avant même d'avoir été vérifier le plan d'eau. Peu importe que je passe la session à patauger entre les lignes molles d'une fin de dépression, il suffisait d'une seule vague potable pour me coller la banane toute la semaine. Et si j'avais par accident fait le moindre progrès, la session était une réussite. Cette capacité à n'en avoir rien à foutre, à m'amuser avec n'importe quoi me manque. Aujourd'hui, le choix du flotteur est au centre de mes préoccupations, de même que je suis devenu plus regardant sur la qualité du plan d'eau. Tous les facteurs doivent être réunis pour me garantir un nombre optimal de vagues. Je me suis découvert la capacité d'être frustré à la suite des sessions "stériles" au cours desquelles j'estime n'avoir rien accompli. Quel contraste avec la satisfaction béate et naïve des premiers jours! Je me sens con et blasé lorsque je quitte le parking sans même avoir enfilé ma combi "parce que les conditions ne sont pas assez bonnes" alors qu'hier encore, je me jetais à l'eau en dépit du bon sens, pour des raisons aussi simples que "ça me fera du bien de ramer" ou encore "au pire ce sera une jolie baignade".

J'ai le débutant blues, et ce n'est certainement pas cet automne 2018 où la houle tarde à rentrer qui va me faire oublier l'extase des débuts.

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