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Surf loose report

Chroniques de la loose surfistique ordinaire

Dépucelage

Récemment dans un parking, une connaissance m'a fait cette réflexion "Deux ans c'est tout? Et tu surfes déjà en 5'10!". Si j'admets volontiers que ma progression fulgurante inquiète plus d'une tête d'affiche du circuit pro (à ce rythme, dans 6 mois, je dévalerai Mavericks sur une paire de tongs), il faut avouer en toute modestie (ai-je déjà souligné à quel point ma modestie frisait l'indécence?) qu'il n'y a pas grand mérite à cela.

Premièrement, avec un rythme stable de 5 sessions par semaine, même le dernier des tocards finirait par faire quelques progrès, ne serait-ce que par accident.

Deuxièmement, mon apprentissage du surf s'appuie sur des décennies d'expérience en planche à voile, skateboard, wakeboard et autres supports divers plus ou moins destinés à se casser une jambe, ce qui procure d'entrée de jeu quelques automatismes bien pratiques lorsqu'il s'agit de glisse.

Troisièmement, la 5'10 en question (une Tomo Evo) était la première planche "pas-en-mousse" dont j'ai fait l'acquisition, quelques semaines à peine après mes débuts, au cours d'une phase de craquage totale et en dépit du bon sens. La transition brutale du Knacki™ (8' mousse Décathlon) vers l'Evo m'a offert un nombre incalculable de sessions plus ou moins ratées pour apprivoiser cette taille et ce volume de planche. En quelques mois "à peine", je commençais à prendre du plaisir.

Quatrièmement, et c'est là le point le plus essentiel: je vous ai menti. J'ai honte de l'admettre mais c'est la vérité. Ma première session de surf ne date pas de septembre 2016 aux crevettes, mais de la toute fin des années 90 à port Rhu. En réalité, je suis un vétéran de la côte sauvage dissimulant maladroitement son incompétence chronique sous des dehors de débutant revendiqué. Et le souvenir de ce dépucelage est aussi frais dans ma mémoire qu'un nourrisson peut l'être dans un tiroir de congélateur.

C'était le début de l'automne, mon pote JBFFL (John Best Friend For Life) venait tout juste d'avoir son permis de conduire. De mon côté, je réfléchissais au meilleur investissement financier à réaliser avec mon tout premier salaire de moniteur de voile. Une fin d'après midi comme les autres, d'autant plus remarquable qu'il ne s'y passait rien de significatif, le téléphone fixe du domicile parental se mit à sonner:

"- Salut [biiip] (dans un souci de respect de ma vie privée, j'ai pris la liberté de censurer mon nom), ma mère me prête sa voiture, ça te dirait d'aller surfer?
- Hey [biiiiiip] (dans un souci de respect de la vie privée de mon pote JB, j'ai pris la liberté de censurer son nom), heu ouais pourquoi pas. Mais je ne sais pas surfer, tu te souviens? Et je n'ai pas de matériel.
- C'est cool, tu vas assurer. Je te prêterai une planche."

(Oui, mon copain a toujours eu du mal à intégrer l'idée que je n'étais pas surfeur comme lui. Après 25 ans à tenter de le lui faire comprendre, j'ai aujourd'hui opté pour la solution la plus raisonnable qui consistait à lui donner raison. Fin de la parenthèse.)

Bref, sans trop savoir pourquoi ni comment, je me retrouve dans le parking de port Rhu. L'ancien. Celui duquel un chemin caillouteux menait à l'époque directement au pied de l'arche. Un bon mètre cinquante déferle avec puissance entre les rochers affleurants à mi marée. Le quiver de mon pote se limite à deux planches: un shortboard parfaitement adapté à ces conditions et un longboard très tendu idéal pour les sessions molles des grandes plages et pour se faire méchamment touiller dans le creux.

En toute logique j'hérite donc du longboard.

M'offrant un avant goût de ce qui serait bien des années plus tard une routine, mon pote disparaît en quelques brasses de l'autre côté de la barre, me laissant seul dans le bouillon, avec une planche de 9' et sans la moindre consigne de survie.

Les heures qui suivirent furent épique. N'échappant à la noyade que grâce à ma condition physique irréprochable, j'essayai avec l'énergie du désespoir d'imiter les surfeurs qui évoluaient à distance, et cela jusqu'à la tombée de la nuit. Les rares fois où j'arrivais à me positionner pour prendre une vague, j'alignai les échecs avec une constance mathématique. Alternant les ratages dus à une position trop reculée, avec les plantages dus à une position trop avancée. Et lorsque par miracle j'arrivais enfin à prendre une vague, j'avais la désagréable sensation que mon longboard était suspendu dans le vide, le nez posé en bas de la pente et le cul soulevé par la crête. Il va sans dire que la position debout restait à ce stade un objectif illusoire.

Le soleil nous ayant finalement fait ses adieux, je retournai au bord, fourbu, priant secrètement pour que ma trajectoire ne rencontre pas quelque rocher immergé masqué par l'obscurité du crépuscule. De retour au parking, je réalisai que les clefs de la voiture étaient avec mon acolyte, et qu'il me faudrait attendre l'improbable moment où il aura fini de se régaler pour avoir une chance de récupérer mes affaires sèches.

Une heure plus tard, alors que je pensais devoir me préparer à annoncer les obsèques de mon ami à ses parents, je vis apparaître dans l'obscurité le blanc immaculé de son sourire béat. J'avais bouffé, il s'était gavé. Secs et changés, nous rentrâmes dans nos familles respectives pour un savon en bonne et due forme, parce que "il n'y a pas idée de rentrer à cette heure, on t'attendait pour diner, de qui tu te moques?"

Suite à ce dépucelage au gros sable, j'ai eu deux décennies entières pour débriefer ce qui s'était passé, analyser mes erreurs et préparer mon retour sur le devant de la scène. Alors vous imaginez bien que lorsque j'enfilais pour la première fois ma combinaison dans le parking des crevettes, vingt ans et trente kilos plus tard, j'étais fin prêt pour défier la chronique...

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D
Jolie news encore, j'ai un souvenir dans le même genre.<br /> Après plusieurs années, je rentre enfin au Pays Breton, passe une grosse nuit sur Quiberon et dans la nuit un de mes potes me dit qu'on surfe au petit matin..<br /> Bref je me retrouve dans l'eau, avec un peu d'alcool aussi, avec une vieille expérience de body board, une combine de ci et un vieux malibu qui prend l'eau de là.<br /> Donc je regarde mes potes se gaver et leurs copines aussi ( non, leurs jolies copines aussi) et me régale du spectacle, me servant au passage plusieurs mousses dans la tronche.<br /> Je m'en souviens très bien car à partir de ce moment là, je voulais moi aussi rentrer dans la dance.
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