Oeil pour oeil

26 Novembre 2018

Port blanc, 13h.

C'est sans doute la première fois que je surfe port blanc dans ces conditions. Tout excités au départ du bureau, mon collègue et moi avons sérieusement déchanté en checkant les crevettes aux apparences de lac suisse. En y repensant, nous devions avoir la même tête qu'un gosse à qui on vient de dire que Noël est annulé. En prolongeant notre périple jusqu'à la côte sauvage, nous avons finalement trouvé de quoi surfer, mais il faut être honnête, même ici, c'est loin d'être l'extase.

La marée basse associée à gros coefficients a littéralement mis à nu le banc de sable sur lequel un petit shore break bien mousseux vient se briser. Plus loin, les vagues sont courtes et ferment vite comme d'habitude, mais manquent clairement de patate. Cela n'empêche pas les vétérans de faire exhibition de leur meilleurs tricks, mais pour un chasseur de gros gibier de mon acabit, c'est un peu juste. Une quinzaine de surfeurs se pressent sur l'unique peak situé juste à côté de l'ascenseur, impossible de dire en arrivant dans quelle ambiance ce petit monde évolue.

Nous nous mettons donc à l'eau sans trop savoir à quoi nous attendre. Les conditions sont délicates et mon collègue file rapidement tenter sa chance du côté de port Rhu. De mon côté, les choses s'améliorent progressivement. Le peak se vide petit à petit. Une paire de SUP (au sujet desquels je m'abstiendrai de toute vanne convenue, dans la mesure où -parfaitement intégrés au lineup et respectueux des autres- il n'y avait rien à leur reprocher, ce qui mérite d'être dit) plie bagage et me libère un slot du côté gauche. Les voisins font tourner, il y a à manger pour tout le monde, c'est plutôt cool.

Avec mon style inimitable, j'enchaîne les combos late drops/raclées. De mémoire, j'ai du surfer une seule backside sur plus de 5 mètres et une frontside sympa qui m'a laissé le temps de poser un roller avant de me faire ramasser sur un cut-back trop optimiste. Pour autant, je m'amuse raisonnablement: un take-off sur deux a lieu sur le dessus de la lèvre et la chute libre qui s'ensuit est toujours grisante, même si c'est pour finir à plat ventre sur le banc de sable avec les dérives plantées dans le dos.

Mais l'océan n'était pas décidé à me laisser continuer impunément ce petit manège. Alors que j'attends mon tour au peak, très légèrement à l'écart du peloton, une vague m'arrive droit dessus. Vu nos positions respectives, celle là est pour moi et personne d'autre. Sans grande surprise, je me fais soulever juste au moment de déclencher mon take-off. Je pars donc backside sur le dos de la lèvre qui a déjà commencé à enrouler, mais contrairement à d'habitude, la section n'a pas encore complètement fermé devant moi. Tout en serrant les fesses, je m'engage. Ma planche plonge et accélère tandis que le rail s'engouffre dans l'élément liquide. Les dérives mordent, la planche tient bon. Dans une grande gerbe d'eau, je traverse cette vague de haut en bas et de gauche à droite, en traçant une diagonale blanche sur sa surface émeraude. L'instant est fort, je me sens étourdi. Je ne vois pas venir la camionnette d'écume qui s'abat sur ma nuque.

Cette vague c'était oeil pour oeil, dent pour dent. Je lui ai déchiré la face, elle m'a démonté la mienne.