Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Surf loose report

Chroniques de la loose surfistique ordinaire

Thriller

[Spot non communiqué], 13h.

Bonne pioche!

Autant le froid et la flemme m'avaient un moment fait douter de mon envie d'aller checker, autant maintenant que je suis là, je ne regrette pas du tout les 45 minutes de route jusqu'à ce pseudo repli presque secret. Dos au vent, la capuche rabattue sur la caboche et le col remonté jusqu'aux oreilles, je frissonne.

Difficile de dire si c'est de froid, de peur ou d'excitation. Il fait 3°c sur le tableau de bord de l'utilitaire, le vent glacé me dit "prévois une cagoule". En face de l'entrée du spot, la combinaison d'un bon gros shore break suivi d'un violent backwash qui projette de l'écume à plusieurs mètres de haut me dit "n'y va pas, tu vas te blesser". Enfin, des séries au large d'environ 2m parfaitement glassy et qui ouvrent d'un bout à l'autre me disent "fonce, c'est le plus beau jour de ta vie". Émotionnellement, c'est difficile de gérer ce grand écart, mais je sais déjà que mon sort est jeté. Après tout "je n'ai pas fait la route pour rien".

Evidemment la mise à l'eau est prudente. A ce stade, je ne cherche pas à savoir comment se passera à la sortie. J'aurai tout le temps d'y réfléchir en temps voulu... Je repère un passage où les vagues viennent s'allonger au lieu de déferler, le courant semble tirer fort vers le large, je tente ma chance. En moins de temps qu'il n'en faut pour dire "oh putain, je suis passé!"... je passe. Rétrospectivement, j'ai certainement eu pas mal de chance, parce que le backwash a pété une fois devant et une fois derrière moi. Le timing parfait si l'on peut dire.

Posé au peak, je regarde enfin autour de moi. Je suis seul. Seul au milieu de séries incroyablement lisses, dont certaines tubent même, et qu'il n'appartient qu'à moi de surfer. Je le sais, la marée descendante va bientôt mettre à nu le banc de sable situé plus à l'est et les conditions vont radicalement changer. Je n'ai que quelques dizaines de minutes, tout au plus une heure, pour me gaver jusqu'à plus soif.

Malgré leur taille, toutes les vagues ne sont pas évidentes à prendre, la pente est un tout petit peu trop molle pour ma Cymatic au niveau de l'épaule, et le bowl est suffisamment violent pour que je n'y tente pas ma chance en toute impunité. D'emblée, il me semble évident que la réussite de cette session dépendra surtout de mes choix de vagues. Après une poignée de tentatives ratées, je m'engage enfin sur un morceau assez ouvert pour y poser mon take-off en toute sécurité. À peine debout, le bowl me rattrape et ma planche accélère. Pendant quelques secondes, je fais la course avec la lèvre. La vitesse m'enivre, le temps s'écoule au ralenti, mon surf tremble mais tient la route, je me sens invincible.

Finalement, la lèvre gagne cette première manche. Je me fais ramasser proprement, et le touillage se prolonge jusqu'à ce que mes pieds touchent un banc de sable, ce qui me permet de freiner ma course. Par chance, je n'ai pas atteint le point de non retour dessiné par le backwash, je retourne donc au peak sans la moindre difficulté. Je sens au plus profond de mes tripes que cette session ne comptera qu'une poignée de vagues, mais que chacune d'entre elles sera épique.

Deuxième gauche (de toutes façons, il n'y a que des gauches), mes pieds ne sont pas parfaitement placés et je perds un temps précieux à trouver de bons appuis. Après une descente expresse, j'attaque mon premier virage trop tard. Cette fois, la mousse me re-dépose sur la plage. J'essuie une série entière de shore-break avant de réussir à me replacer. Pas de casse ni sur le bonhomme, ni sur le matériel, tout va bien. Je prends bonne note de cette leçon d'humilité pour choisir mes vagues avec d'autant plus de sens critique.

Troisième gauche, c'est la bonne. Je dévale le mur d'eau comme on descend une rampe de skate park, mon bottom accroche fort et je remonte sans difficulté jusqu'à la lèvre sur laquelle j'appuie mon roller le plus agressif. Reparti en diagonale et non à la verticale, je n'ai pas d'autre choix que de gérer un cut-back pour retourner dans la poche. Heureusement, j'y trouve l'appui nécessaire pour me relancer. Encore deux sinusoïdes pour reprendre de la vitesse et je sors de cette vague par la grande porte avant qu'elle ne ferme. Le grand frisson.

Nouvelle tentative, un excès de confiance m'envoie ramer trop près du bowl, la vague me pète littéralement dessus. Incapable de me lever, je prends la carre allongé sur ma planche, histoire de sortir du bouillon en mode body-board avant de tenter un sauvetage. Mauvaise idée, je me fais enrouler dans le tube pour un essorage de bon aloi. Les secondes qui suivent paraissent des heures. Lorsque les choses se calment, je ne peux qu'être rassuré: je suis vivant, je n'ai pas trop chassé et le peak est à quelques mètres seulement.

Déjà, je sais qu'il est temps de mettre un terme à cette session. L'intensité des conditions a largement entamé mes réserves énergétiques et le peak commence à se décaler, signe que le banc va bientôt affleurer, marquant la fin des festivités. Pour une fois, je suis sincère lorsque j'annonce à la mouette qui passe à côté de moi "c'est la dernière". Elle me répond "kwaaa", ce que j'interprète peu ou prou comme "Et qu'est-ce que ça peut me foutre?".

Au bout de quelques minutes, je vois enfin arriver la vague que j'attendais. Je suis pile sur la trajectoire de sa pointe en "A" qui se dresse quelques mètres seulement avant de m'atteindre. Je n'ai même pas besoin de ramer pour me faire embarquer. L'apesanteur créée par la chute libre me permet de placer la planche sous mes pieds sans effort. Mes dérives vrombissent en raccrochant la surface de l'eau. Face à un monstre pareil, je ne cherche pas à tricoter, mon seul objectif est de ne pas me faire ramasser. Évoluant le long de la pente, je garde le rythme rail-to-rail pour générer un maximum de vitesse. Mon dieu, ça va vite! Je n'ose pas me retourner, mais j'entends l'écume qui s'abat juste derrière moi. Au bout d'une courte éternité, la pente s'apaise enfin. Je suis toujours debout, et en bonne voie pour rejoindre la plage.

Les quelques mètres qui me séparent du continent ne sont pas beaux à voir. Je rame quelques instants dans le sens du courant pour m'éloigner des plus grosses déflagrations dues au backwash. Rapidement, il ne reste plus que le shore-break à gérer. La fenêtre de tir n'est pas large et je vois mal comment je pourrais me faufiler entre deux morceaux sans prendre une raclée. Là où je suis, je n'ai pas pied, cinq mètres devant moi, le sable est sec. Je devine à mi-chemin la fin du trou creusé par les vagues et la marche qu'il me faudra gravir. Une première vague nous emporte en avant, moi et ma planche, j'essaie de prendre appui sur le rebord de la baignoire mais je me fais aspirer presque immédiatement par la vague suivante qui me soulève et me projette à son tour.

Sans bien comprendre pourquoi ni comment, je me retrouve debout sur mes deux jambes, la planche bien calée sous le bras, de l'eau pas plus haut que les chevilles. Sans prendre le temps de remercier la providence, je décampe vite fait, non sans arborer la tête de pouf le cascadeur lorsqu'il clame "C'est exactement ce que je voulais faire".

Une fois rhabillé, je jette un dernier coup d'oeil à la mer. Une petite photo pour bien dégoûter les copains qui n'ont pas pu venir, même si c'est quand même vachement moins joli qu'à mon arrivée. Mentalement, je prépare déjà mon prochain article. Putain, il ne s'est pas passé grand chose côte loose aujourd'hui. Je vais avoir un mal de chien à pondre trois lignes. C'est vraiment la loose.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article