29 Mai 2019
Le bureau, 10h30.
En consultant les prévisions du jour pour juger de la pertinence d'un trajet boulot-plage sur la pause déjeuner, je m'extasie une fois encore de l'hétéroclicité des prévisions proposées par les différents sites spécialisés. Jugez par vous même:
Et on ne parle pas de prévisions à 5 jours là, non! Seulement des vagues qui sont en train de passer la bouée de Belle-île et qui arriveront sur nos côtes dans une heure. Or, des bouées, il n'y en a pas trente-six. Et quel que soit le modèle de propagation choisi, je trouve complètement hallucinant qu'on puisse passer de "pas de houle" à "1m10".
Et encore, ces sites là, au moins, utilisent la même échelle issue du système métrique, qui consiste à mesurer la différence de hauteur entre le bas et le haut de l'ondulation à l'aide d'un outil calibré aux dimensions du mètre-étalon. Ce qui n'est pas le cas d'une partie des surfeurs que je fréquente.
Parce que, pour une raison que je n'ai toujours pas comprise malgré de nombreux débats houleux, la notion même de "mètre" dans la bouche de ces individus respectables correspond en réalité à la taille d'un adulte moyen debout sur sa planche (soit approximativement 1m70, mais pas toujours, selon le sens dans lequel le vent souffle et l'heure de la marée). Je vous laisse juger du surréalisme de cet échange récent que j'ai eu avec un surfeur expérimenté:
"1m de houle, c'est quand la vague fait ta taille.
- Ben non, moi je mesure 1m85! Donc si la vague fait ma taille, c'est qu'elle mesure 1m85.
- Oui, sauf qu'on n'a pas un décimètre sur soi pour mesurer la vague, et qu'on ne sait jamais exactement où se situe le bas de celle-ci. Donc tout ce qu'on peut faire, c'est la comparer au bonhomme qui est en train de la surfer...
- Je suis bien d'accord. Et si le bonhomme qui est en train de la surfer fait 1m85, alors la vague fait 1m85.
- Mais non, ça ne fonctionne pas comme ça! Une taille d'homme égale 1m, c'est la norme.
- Mais c'est débile comme norme! Pourquoi appeler "un mètre" quelque chose qui ne fait pas 1m?
- Parce que c'est plus simple comme ça.
- En quoi est-ce plus simple d'utiliser le mot "mètre" pour désigner quelque chose qui ne mesure pas 1m, plutôt que de se contenter de dire "de la taille d'un bonhomme" alors?
- Parce que tous les bonshommes ne font pas la même taille!
- Du coup, tous les soit-disant "mètres" ne font pas la même taille!
- Ben si, puisque c'est un mètre.
- Donc c'est une moyenne?
- Si on veut, oui.
- Alors "un mètre" mesure environ combien... 1m70?
- Ça dépend du bonhomme.
- Bon, j'insiste pas... Mais du coup, 50cm, c'est la moitié d'un bonhomme "normal" alors. À hauteur de hanche donc?
- A non, la hanche c'est 60cm. 30cm pour le genou et 80cm pour l'épaule.
- Putain, il est drôlement gaulé ton bonhomme!
- Non mais de toutes façons, ça ne marche pas comme ça: normalement on doit mesurer la taille de la vague en pieds: 1 pied pour la cheville, 2 pieds pour le genou, 3 pieds pour la hanche, 4 pieds pour l'épaule, 5 pour la tête et 6 pieds overhead...
- Ben ça tombe bien: 6 pieds, c'est 1m82. Pratiquement ma taille. Donc une vague qui me dépasse, sachant que je suis fléchi sur ma planche, fait plus d'1m80!
- Non, 1m. Parce qu'elle fait ta taille.
- ..."
Ajoutez à cela le concept de "taille hawaiienne" où les types mesurent la hauteur de la vague par rapport au niveau moyen de l'eau (et non pas au bas de la vague, qui se situe en dessous de ce niveau moyen), ce qui divise de facto la mesure par deux. Ainsi que la confusion générale qui règne entre les concepts de "vague" et de "houle", la houle étant l'ondulation primaire qui donne naissance à des vagues 1.3x à 1.5x plus grandes qu'elle lorsqu'elle rencontre un obstacle (le ratio exact dépendant évidemment de la manière dont l'énergie accumulée par la houle est libérée: de sa période, de la configuration du fond, etc...). Et vous avez une vague idée du joyeux bordel qui règne dans les discussions de comptoir et les reports de session.
Enfin, et j'enfonce le clou si c'était nécessaire, il faut ajouter à l'équation une variable relative au niveau du surfeur: Il semble en effet que plus un surfeur gagne en expérience, et plus il a tendance à minimiser la taille des vagues qu'il surfe. Blasé peut-être, moins impressionnable certainement, il n'est pas rare d'entendre un vétéran parler de "petit surf" pour évoquer des conditions susceptibles de faire souiller leur fondement à bon nombre de débutants.
Tout ça pour en venir où? Et bien j'en appelle tout simplement à votre indulgence, cher lecteur, lorsque parfois il vous arrive de penser que mes articles manquent de réalisme en matière de taille de vague. Car malgré une sincère envie de bien faire, il m'est impossible de livrer une estimation susceptible de satisfaire tout un chacun, dans la mesure où de toutes façons personne n'est d'accord sur la bonne manière de procéder à la susdite mesure.
La vérité, c'est que je suis complètement paumé.