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Surf loose report

Chroniques de la loose surfistique ordinaire

Pitié, stop!

"La houle est tombée cette nuit.
- Arf. On fait quoi alors?
- Ben je sais pas trop... Regarde la webcam et dis-moi ce que tu en penses.
- J'en pense que... Attends, c'est ta bagnole que je vois sur le parking?
- Ouaip.
- Ok, je décolle (putain, je suis à la bourre)"

Deux mecs qui s'envoient des messages.

Toponyme inconnu, 8h15.

Exceptionnellement, je me suis autorisé une grasse mat', et voilà-t-y pas que mon pote norvégien a décidé de tomber du lit pour partir en reconnaissance. Craignant les conséquences du vent de Nord, il a passé les premières heures du jour à arpenter tous les spots exposés SO pour trouver la pépite, pendant que je ronflais comme un clodo à 35kms de là. Assailli par la culpabilité d'être en train de l'utiliser comme éclaireur, j'avais fait la route rapidos pour le retrouver au fond d'un parking suspect, dans un lieu que je ne saurai pas nommer, à proximité d'une vague potentielle.

Après quelques secondes de marche, nous inspectons les lieux. Devant nous, une pointe rocheuse coupe le paysage en deux. A droite, une longue baie sableuse sur laquelle déferle un petit shore-break peu accueillant. A gauche, derrière une muraille semi-immergée de roches acérées, un reef break déroule depuis la pointe vers un bassin versant où la houle se volatilise, absorbée dans les profondeurs. Les vagues ont l'air d'être régulières et raisonnablement consistantes, même si à cette distance nous avons du mal à estimer leur taille. Ce qui nous fait hésiter un instant, ce sont évidemment les multiples roches disséminées sur la route du peak et probablement aussi sous la zone de déferlement, comme autant de promesses d'y laisser une dérive, un morceau de jambe, et peut être aussi quelques bouts d'os crâniens.

"Il n'y a pas tant de vent que ça... Si ça se trouve, ça fonctionne très bien sur les grandes plages" nous accordons-nous à dire, dans une tentative désespérée de prendre une décision raisonnable. Mais le mal est déjà fait: dans nos esprits germe la graine d'une idée tenace. Le frisson d'excitation suscité par l'inconnu est plus fort que le confort sécuritaire d'une grande plage potentiellement surpeuplée. Guidés par nos instincts primaires d'explorateurs, nous nous mettons en route pour le peak de tous les dangers. Pour moi, le choix de planche est tout vu: lorsque le spot est inconnu et potentiellement dangereux pour le matériel, c'est au Knacki-ball d'essuyer les plâtres.

Pour atteindre le peak, nous avons le choix entre progresser à pied sec sur la pointe rocheuse, ou nous mettre à l'eau à sa base en espérant trouver un passage vers le bassin entre les hauts fonds. Vu la configuration de la pointe, j'estime ne pas être capable d'en atteindre l'extrémité pieds nus, sans en payer un prix de sang: coupure ou cheville tordue. Je jette donc mon dévolu sur la route aquatique, mon partenaire norvégien sur les talons. Voyant les roches affleurer à quelques centimètres sous la surface, je lui fais part d'une astuce redoutable pour éviter de frotter une dérive: ramer avec la planche à 180°, dérives en avant, profitant ainsi de l'inclinaison naturelle du flotteur pour réduire significativement notre tirant d'eau. Heureux d'avoir pu apprendre quelque chose d'utile à un collègue plus expérimenté, je me garde bien de préciser que cette découverte n'est que le fruit d'une longue expérience en bousillage d'ailerons sur des spots craignos. Je n'en suis pas à ma première sortie à patate-land!

Malgré cette précaution, le passage ne se fait pas sans anicroche. Ramant avec un peu trop d'enthousiasme, je file une grosse gifle sur une roche recouverte de balanes. Les crustacés me griffent la main sans retenue. Un peu plus loin, et malgré mon tirant d'eau réduit, je sens ma carène frotter un obstacle immergé. Je remercie mentalement mon Knacki-ball d'encaisser sans broncher ces mauvais traitements à répétition. Une fois passés, nous inspectons les lieux, ramant précautionneusement sur nos premières vagues. En sortant d'une petite glisse timide à l'entrée du bassin, mon pied heurte une patate située 50cm à peine sous la surface. A quelques centimètres de là, je n'ai plus pieds... Pour moi, le message est clair: il va falloir aller chercher les séries plus au large.

Par chance, les plus beaux morceaux déferlent un peu plus loin. En m'approchant, je constate qu'une bouée de casier marque en réalité l'emplacement du reef qui déclenche le déferlement. Je décide en toute logique d'utiliser cette dernière comme repère de placement, tandis que Thorstein campe un peu plus bas pour exploiter des séries plus petites mais aussi plus fréquentes. Las, ni l'un ni l'autre ne faisons de miracle. Pendant qu'il doit se contenter de glisses très courtes, faute de voir la vague survivre à son passage au dessus du trou d'eau, j'alterne vagues ratées et luges dans la mousse en raison d'une suite d'erreurs de placement dues au fort courant qui règne dans la zone et que je n'ai pas encore remarqué.

En montant me replacer une énième fois, je constate finalement que la bouée semble avancer seule avec pour but de me doubler. J'en déduis -enfin- qu'un jus significatif me rabat vers le bassin. M'accrochant sans autre forme de procès à la susdite bouée, je commence au bout du compte à prendre quelques vagues. Ici aussi la glisse est courte, la puissance de la houle ne se déchaînant que sur quelques mètres avant de se volatiliser dans le néant. Rapidement, mon pote me fait part de ses intentions de changer de spot, afin de se donner une chance de faire du surf pour de vrai. J'acquiesce et me prépare mentalement à la longue nage vers le bord.

C'est alors que, comme d'habitude, le miracle de la-vague-qui-vous-dissuade-de-sortir se produit. Une crête se dresse en effet juste au dessus de la bouée, comme une invitation à la glisse. L'accrochant sans difficulté grâce aux 45 litres de ma mousse canard WC, j'hésite un instant à partir à droite, c'est à dire dans la direction opposée aux caillasses toutes proches, mais le bowl se forme clairement côté frontside et j'ai la sensation tenace qu'il serait criminel de m'y soustraire. Je décolle donc à gauche et commence mon voyage à grande vitesse en direction des rochers. La pente se creuse et m'offre deux opportunités de roller inattendues. Je suis dangereusement près de l'obstacle solide lorsque la vague se met soudain à fermer, pour se reformer aussi sec dans l'autre sens sous l'effet de la réverbération contre la masse rocheuse. Je repars backside après avoir dropé la marche qui s'était formée sous ma planche, et enchaîne avec deux virages supplémentaires avant de me viander sur une faute de carre. "OHLALAAAAAAAAAAAAaaaaaa" m'écrie-je dans l'espoir d'être entendu d'un hypothétique public venu scander mes exploits. J'ai soudain beaucoup moins envie de sortir, mais une parole donnée ne peut être reprise.

Nous rejoignons donc le bord à la nage. La mer a monté et on peut à présent passer au dessus des cailloux avec sérénité. C'est tout du moins ce que je pense jusqu'au moment où je re-file une gifle à une innocente roche recouverte de balanes, m'enfonçant dans la main une "écharde" de crustacé qui mettra deux jours à en sortir. Sans prendre le temps de nous changer, nous remontons dans nos véhicules respectifs en direction du prochain spot. Chacun ayant sa propre méthode pour ne pas pourrir ses sièges: j'utilise ma serviette poncho comme housse de siège tandis que Thorstein soustrait sa housse à sa planche favorite. Pendant tout le trajet, j'aurai l'impression de suivre une bagnole conduite par une planche de surf.

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Ty-Hoche, 9h20.

Sans même checker, je ressors le knacki-ball du coffre de mon quivermobile. Un manque de wax combiné à une trop grande précipitation de ma part à fermer le camion me poussent cependant à demander l'aumône au norvégien. Dans sa grande mansuétude, l'homme aux cheveux longs et collés par le sel me tend sa savonnette en articulant difficilement un "tiens, vla une boulette, man" à cause du bouchon d'oreille qu'il tient serré dans le coin de ses lèvres, tel le filtre en carton d'un bédot sur le point d'être roulé. D'un simple regard, nos esprits entrent en communion l'un avec l'autre, et avec Jah Rastafari. "Ouaiiiiiiiis, merci frère" lui dis-je, les sourcils levés, les yeux plissés et le regard perdu dans une autre dimension narcotique. Nous plaisantons un instant sur l'éventualité de fumer sa wax, et les conséquences certainement fâcheuses qui en découleraient.

Si le choix de la mousse canard WC n'a fait l'objet d'aucun doute de ma part, c'est à cause de la certitude selon laquelle les conditions ne peuvent pas être beaucoup plus solides que là d'où nous venons. En gravissant la dune, nous croisons d'ailleurs quelques potes de mon acolyte dont le discours tend à confirmer cet état de fait: "c'est mou", "il faut attendre dix plombes entre deux séries"... Bref, de la grande plage quoi. Sauf qu'au moment de poser le regard sur l'océan, je regrette instantanément de ne pas avoir choisi l'Evo ou même la Cymatic! Les gars déroulent des vagues plus hautes qu'eux, et les séries ouvrent raisonnablement. J'irai même jusqu'à dire que c'est propre. J'hésite un instant, mais la flemme de retourner à la bagnole l'emporte. J'en suis quitte pour assumer mon choix initial.

Notre deuxième session commence. Au début, j'ai l'impression que moi et mon partenaire avons échangé nos rôles: il rate plusieurs vagues de suite pendant que j'enchaîne les glisses presque non-stop. Hélas, je paye fort le prix de mon récent cumul de sessions: j'ai les épaules en feu, mes bras me font mal et j'ai le souffle court. Après quelques vagues, je commence sérieusement à souhaiter que ces conditions prennent fin, afin que je ne sois plus tenté par une nouvelle session d'ici à ce que j'aie eu le temps de récupérer.

Autour de nous, les affamés multiplient les beaux gestes: un mec fait une saumonade juste devant moi et laisse sa planche voler droit vers mes dents. J'ai à peine le temps de m'abriter derrière mon knacki-ball lorsque son leash se tend et arrête le projectile quelques centimètres avant l'impact. Le type repart ensuite vers le peak comme si de rien n'était. À une dizaine de mètres, un autre gars laisse échapper son longboard dans une vague qui ferme, le machin passe à un cheveu d'un innocent qui remontait se placer. Nous nous regardons, Thorstein et moi, d'un air à la fois effaré et entendu: voilà des gonzes qui annoncent la couleur direct!

Puis les choses rentrent dans l'ordre: les situations accidentogènes s'espacent, le norvégien retrouve son rythme, et je renoue avec les luges. Entre deux pentes descendues à plat ventre après m'être fait plaquer sur ma planche par une baignoire d'écume, je place quelques beaux drops frontside, la main tendue en avant pour caresser la surface liquide qui se dresse face à moi. Hélas, comme avec la mystery-box, mes dérives soft-edge décrochent trop facilement et je termine souvent mes descentes à plat ventre pendant que ma planche vole quelque part dans mon dos. Après un énième wipeout, je constate même que mes boîtiers de dérive sont en train de se faire la malle. En même temps ce n'est qu'à moitié étonnant pour des inserts tout juste posés sur le pain et collés avec dieu sait quoi. Ahh, si j'avais ma Cymatic, ce serait une toute autre histoire.

Pour la deuxième fois de la journée, je me résigne à mettre un terme à une session. Cette décision a été d'autant plus difficile à prendre que les conditions sont décidément incroyables pour la saison. J'ignore ce qui se dira sur les forums, mais pour moi c'est clairement l'une des meilleurs sessions de juillet. Les grosses séries que tout le monde semble attendre au loin sont effectivement un peu molles, mais il y a largement de quoi s'amuser dans la reforme. Je cherche du regard ma "dernière vague" et, comme dans un rêve, aperçois une superbe gauche qui se forme à quelques mètres devant moi. Profitant de sa pente généreuse, je recule mes appuis sur le knacki-ball et réussis à resserrer significativement mes virages. J'arrive même à poser un chouette roller-qui-envoie-de-l'eau juste sous le nez de mon pote qui rame vers le peak. Quel bonheur d'avoir réussi à ne pas être ridicule devant un copain! Celui-ci me lance même un petit "tranquille, le roller!" que j'interprète comme un compliment dans la mesure où il a utilisé le mot "roller" et non pas "top turn" ou "virage", signe que la manœuvre était assez serrée pour mériter ce qualificatif.

Le problème, c'est que cet exploit anéantit instantanément ma résignation à mettre un terme à cette session pour au moins un bon quart d'heure supplémentaire. Un quart d'heure savamment dépensé à renouer avec le ridicule. Ma planche en mousse fait franchement tâche au milieu de tous ces shortboards, et le type qui est dessus ne donne aucune raison de penser qu'il mérite une meilleure planche. Ah si j'avais deux sessions de moins dans les pattes et une Cymatic entre les mains, je leur montrerais à tous de quel bois je me chauffe! Finalement, c'est à la faveur d'une vague providentielle que je rejoins enfin la plage vidé, éreinté, et avec plus assez de niaque pour envisager de retourner me frotter à la barounette. Je remonte vers ma voiture en marchant comme un papi, prêt à affronter les 40 minutes d'embouteillages qui me séparent d'Auray, et d'où j'emprunterai une succession improbable de départementales pour rentrer chez moi. L'axe Auray-Vannes étant en effet frappé, en de multiples endroits, par le fléau des touristes qui, trop pressés de rentrer chez eux, préfèrent jouer aux auto-tamponneuses plutôt que de rouler à une vitesse raisonnable, et bloquent conséquemment la circulation sur plusieurs kilomètres.

Sur la (longue) route menant à mon lit que j'aimerais médicalisé en cet instant, j'adresse une prière secrète aux dieux de la météo:

"Pitié, arrêtez avec ces conditions. A ce rythme, je vais finir par me faire mal".

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A
Alors tu as fait repos finalement today (mardi 30)? Où tu as couru les spots de repli ??<br /> Moi j’ai fait comme toi d’habitude : Des kilomètres pour surfer :-) <br /> Suis parti surfer chez les bourgeois :-) C’était pas mal quelques bons petits bouts qui ouvraient... malheureusement à cette époque il y a une zone de baignade matérialisée qui est très frustrante... j’ai pas tenté d’aller mettre les dérives dedans ! En revanche, ça permet des taxes toutes légales entre les surfeurs à l’intérieur de la zone de baignade et ceux a l’extérieur... Ça fait d ailleurs bizarre de te jeter dans une vague avec un surfeur qui est déjà caler à pleine balle dedans ...
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U
Hélas, je me suis fait rattraper par le boulot. Je bosse comme un clebs depuis trois jours pour clore tous les dossiers chauds avant mes congés.<br /> <br /> Après ça, c'est open bar sur les sessions minables!
D
Salut,<br /> Commence à me faire rêver ta Knacki-ball vert moulu par les sorties.<br /> Ta pas de bol, mardi tu vas pas pouvoir ne pas passer devant les spots de replis.
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D
Vends la avec toutes tes histoires, le mec ou la nana surfera de nuit comme de jour, lol.<br /> Je croise les doigts pour demain, oui j'y crois c'est le jeu de la vie.... au merde c'est lui.<br /> https://www.youtube.com/watch?v=rY0FPLWxHeQ&t=247s
U
Mardi ce sera bon: 48h de repos c'est plus que ce qu'il faut à mes vieux os pour retrouver leur jeunesse :-D<br /> <br /> Pour le Knacki-ball, mon modèle est collector. Décath ne le fait plus dans cette couleur et avec l'option quad. Je pensais le mettre aux enchères pour en tirer un bon prix vu la rareté du modèle.