Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Surf loose report

Chroniques de la loose surfistique ordinaire

Le chant de la dérive

La guérite, 12h30.

Hmm, la marée est encore trop basse. Malgré le fait que le vent se soit bien calmé, la houle n'arrive pas à se former correctement et les vagues montent à peine plus haut que les genoux de la foule en train de s'ébattre dans les petites séries. Mon-pote-qui-bosse-en-slip ne pourra pas me rejoindre avant deux bonnes heures, il est inutile que je reste ici à l'attendre. Le dernier SMS reçu en provenance de la côte sau pronostique un bon mètre. J'estime avoir le temps de procéder à un hold-up en bonne et due forme avant que la mer ne soit trop haute.

--

Port-blanc, un peu plus tard.

Pas le temps de traîner! L'eau lèche déjà le pied de la patate. Il ne reste tout au plus qu'une grosse heure à exploiter. Il y a beaucoup de monde à l'eau mais les séries sont vraiment belles à voir. Ça monte largement plus haut qu'un bonhomme, et ça a l'air propre. Je me change en quatrième vitesse et file rejoindre mes concurrents armés de ma fidèle Linette.

Propulsé au peak par l'ascenseur, je me place un poil à l'écart du peloton, côté falaise, et décroche d'emblée ma première gauche. La vague est très courte et s'essouffle vite à cause de la marée, trop haute, mais la descente est grisante. A peine replacé, j'enchaîne sur un deuxième drop, puis un troisième. Toujours pas d'opportunité de placer de virage, mais les accélérations sont aussi intenses que brèves. Autour de moi, je sens les regards se faire pesants. Je n'ai taxé personne mais ma chance à la limite de l'insolence n'a pas l'air de plaire à ceux qui semblent n'avoir toujours pas pris la moindre vague depuis mon arrivée. Le courant est assez fort, le gros du peloton se fait pas mal balader à la sortie de l'ascenseur, et à force de se surveiller les uns, les autres, la plupart des gars ne réalisent pas qu'ils sont placés trop haut.

De retour au peak après une première droite, qui s'essouffle tout aussi vite que les gauches une fois l'explosion initiale passée, je me fais carrément encercler par une dizaine de personnes. Pris d'une soudaine crise de claustrophobie, je décide d'aller voir ailleurs si j'y suis et file direct en direction de port-pigeon où je retrouve, sans surprise, papa_école_surfeur en train de scorer les plus grosses bombes les unes après les autres.

Le temps de lutter contre le courant pour aller me placer tout à gauche, et j'accroche une première descente. Ça déroule vite et je n'ai pas le temps de tricoter, mais la vitesse et le vent dans mes cheveux suffisent à activer la pompe à endorphines. Chacun notre tour, papa_école_surfeur et moi prenons nos gauches, net sans bavure. Au bout d'une dizaine de descentes, je jette un oeil en direction de port-blanc. En un quart d'heure, le spot s'est complètement vidé. Ça ne déferle même plus, les mecs ont plié bagage. Sur pigeon, les derniers irréductibles s'acharnent, mais bientôt la session tourne au vinaigre. La houle est largement assez consistante pour se lever et déferler malgré la hauteur d'eau, mais en rebondissant contre la falaise elle s'autodétruit. Vague après vague, la tendance se confirme: après un bottom dans un bowl à peu près propre, la pente se transforme soudain en escalator mutant d'où jaillissent des geysers d'écume au hasard des interférences.

C'était un chouette braquage mais il est temps de plier bagage. Même la sortie de l'eau devient craignos, un gros shore break ayant tendance à projeter quiconque s'approche du rivage contre les roches à moitié immergées disséminées ça et là. Je jette mon dévolu sur un bout de sable à droite de l'arche puis, mon atterrissage réussi, m'adonne aux joies du longe côte, suivant tant bien que mal le pied de la falaise tout en me faisant brasser par le ressac qui me monte jusqu'aux hanches. La manœuvre est carrément périlleuse et je m'estime chanceux lorsque j'atteins la plage sans avoir cassé ni le bonhomme, ni la planche.

Le temps de protéger les sièges du camtar avec une housse, et je décolle direct vers les grandes plages pour y retrouver Tax, dont la sortie du taf est imminente.

--

La guérite, le temps de faire la route.

La marée ayant bien monté, j'estime utile de procéder à un nouveau check, ne serait-ce que pour temporiser en attendant l'arrivée de mon pote. A la vue des séries super propres, bien qu'encore un poil molles, je décide à la fois de ne pas attendre mon copain pour me mettre à l'eau, en bon crevard que je suis, et de sortir l'Evo-twin, histoire de la jouer relax.

Sur la moitié sud de la plage, une école de surf verrouille la zone. La quasi-intégralité des occupants du parking (lequel est évidemment plein à craquer) se presse donc sur un unique peak, pris en tenaille entre les stagiaires sur leurs planches en mousse et les gars qui ont dérivé depuis Ty-Hoche. Il ne me faut que quelques secondes pour constater que j'arrive en plein festival de la luge, au milieu du championnat inter-régional du genou sur le deck. Si quelques énergumènes envoient du lourd au large, atteindre le peak ne se fait pas sans devoir traverser une foule compacte d'hurluberlus dépourvus de toute maîtrise. Mon spider-sens hurle à chaque instant pour m'alerter du danger.

Une fois placé, je trouve quelques morceaux sympas, qui sont l'occasion de me féliciter de mon choix de planche. J'aurais bien sûr pu surfer Linette ou la Cymatic sans difficulté dans ces conditions, moyennant quelques efforts supplémentaires à la rame, mais la facilité avec laquelle j'accroche les vagues combinée à la sensation unique procurée par les twins répond parfaitement à mes attentes du moment. La planche pivote et dérape en haut de vague d'une simple impulsion du bassin, tout en gardant ce qu'il faut d'accroche pour que ça soit fun et ludique. C'est comme de faire décrocher un thruster, mais avec le paramètre de la centrale en moins... Je me régale!

En revanche, ce qui me régale un peu moins, c'est de voir les plus belles vagues systématiquement squattées par des longboards. Ils sont une dizaine à patrouiller au large et à truster l'intégralité des grosses séries tels une horde de requins blancs en chasse. En laissant passer les bombes les unes après les autres, la frustration s'installe... et mon pote n'a toujours pas l'air d'arriver.

Pendant que je rumine, un mouvement de foule sur la plage attire mon attention. Le cours de surf remballe, les stagiaires remontent en pack serré vers le parking. Sautant sur l'opportunité, je me jette dans l'espace ainsi libéré. Sur place, je retrouve Tax, mon rencard qui bosse en slip, qui vient juste d'arriver et de saisir lui aussi l'occasion de commencer sa session peinard. Les trépidantes aventures de Drop & Tax peuvent à présent reprendre leur cours là où nous les avions laissées.

Pour honorer la tradition, j'ouvre les hostilités sur la première droite qui passe avec un drop venu des enfers. Pour éviter le carnage, mon pote est obligé de saumoner en catastrophe. Exercice auquel il s'emploie avec un style péremptoire: Pendant que je me fais enfermer par "sa" vague, je le vois s'envoler -littéralement- par dessus la lèvre, dans la position dite "de la bombe", suivi de près par sa fidèle planche. Respect. "Ah, tu étais dessus?" feins-je de m'étonner en le retrouvant au peak, "Oh, à peine." répond-il avec désinvolture, dans une tentative maladroite de me faire croire qu'il n'est absolument pas dégoûté. "C'est con, si j'avais su je te l'aurais laissé, elle était belle en plus!" mens-je effrontément pour bien enfoncer le clou.

Vague après vague, les séries se calent comme rarement sur les grandes plages. J'en suis à ma troisième heure de session consécutive et je regrette presque d'avoir gaspillé mes forces à la côte sau. Pour dire les choses clairement, la guérite is ON FIRE. Des séries glassy presque non stop, hautes comme l'épaule et assez creuses pour partir sans filer plus de deux coups de rame. Les conditions sont tout simplement hallucinantes. Mon pessimisme des derniers jours est balayé, parti aux oubliettes, je suis là pour me régaler sans arrière pensée, peu importe ce qui se passera au cours des prochains jours.

A ma grande satisfaction, mon pote s'éclate de plus en plus avec son nouveau fish. Les gamelles sont désormais anecdotiques, et son surf de plus en plus fluide. De son propre aveu, ils ont mis du temps à s'apprivoiser l'un, l'autre. Mais il est à présent évident que cette planche le tire vers le haut, l'oblige à corriger ses défauts les uns après les autres et lui permet de progresser plus vite en quelques sessions qu'au cours des derniers mois passés à barboter dans sa zone de confort. En le voyant tracer de longues lignes, j'imagine les prochains conseils que je pourrai lui donner, mais pour l'instant, je me contente de le laisser savourer l'instant.

C'est vrai que des conseils, je suis prompt à en prodiguer. Pourtant, je ne m'estime pas "meilleur" que les surfeurs de mon entourage, loin de là. J'essaie simplement d'offrir aux autres ce regard à la troisième personne que j'aimerais pouvoir porter sur moi-même. Mon attitude peut, j'imagine, sembler d'autant plus condescendante qu'il est fort probable que je ne parvienne pas à mettre moi-même en oeuvre les trois quarts de ces beaux préceptes. Mais en vérité, je serais heureux si l'on pouvait un jour me répondre "ben justement, en parlant de ça..."

Après tout, comment savoir si je suis raide comme un piquet sur mes top turns ou si je donne l'impression de chier dans ma combi à chaque bottom? A quel point est-il large, le fossé qui sépare la cruelle réalité, de l'image mentale idéalisée que j'ai de mes propres trajectoires (qui correspondent, à peu de choses près, à ce que l'on peut voir sur les vidéos de la WSL dont je me gave lorsqu'il n'y a pas de houle)? Vous qui surfez avec moi, et à qui il arrive certainement de penser que mes récits sont empreints d'une touche de mythomanie compulsive... S'il vous plait, rendez-moi ce service: n'ayez aucune pitié à mon égard, et balancez-moi la triste vérité à la face. Je vous en serai sincèrement reconnaissant.

En parlant de trajectoires WSL justement... Après avoir piqué une nouvelle droite à mon pote, celle-ci se met à creuser comme dans un rêve. Premier roller très engagé: je sens mon twin partir en drift. Emporté par son élan, j'ai la sensation qu'il dépasse largement le demi-cadran de l'horloge et pointe à présent en direction du bowl. Le temps de le remettre en ligne pour attaquer une nouvelle descente et l'Evo repart comme une fusée. Avec mes conneries, la section a pris un peu d'avance. Pour ne pas me faire enfermer, j'envoie un top turn tout en douceur avant d'attaquer mon troisième bottom à la vitesse du son. Le rail mord la pente, l'unique dérive encore immergée se tord et tremble sous la pression. Sous l'effet des vibrations, un sifflement transperce la surface de l'eau: "woooooooo", c'est le chant de la dérive! Pour la troisième fois, je me jette sur la lèvre. Je balance tout ce que j'ai, en regardant par dessus mon épaule pour évaluer la quantité de flotte que j'arrive à lui arracher. Mon imagination s'enflamme, je crois un instant voir des gouttes partir en orbite géostationnaire.

Il est grand temps de prendre une bonne dose d'humilité: En remontant au peak, je surveille du coin de l’œil un-plus-que-quinqua qui rame avec décontraction à l'arrivée d'une grosse série. Bonhomme, le mec s'engage sans forcer et... OH PUTAIN! D'abord perché sur le premier tiers de la vague en attendant le moment idéal, il plonge soudain dans la descente au moment exact où celle-ci prend son angle maximal. L'effet est immédiat, papy se retrouve propulsé en hyperespace et trace une ligne fulgurante, devançant sans peine la section qui se met soudain à fermer. Tout, dans son exécution, respire la maîtrise et la coordination la plus parfaite. Le mec est une leçon de vie ambulante. Je rêve un instant de surfer comme lui à son âge... Non, je rêve de surfer comme lui à MON âge!

C'est pas tout ça mais j'ai plus vingt ans, moi non plus, et les quatre heures de session consécutives que j'ai à présent dans les pattes commencent à peser lourd sur mes épaules. En rejoignant mon pote une énième fois, je lui fais part de mon état: "Bon, je cracherais pas sur une bonne petite gauche, pour finir en beauté". Comme pour exaucer ma prière, une gauche parfaite se dresse juste devant nous. J'annonce, sans le moindre scrupule: "Désolé d'avance, mais celle là, elle est pour moi!". A force d'avoir ramé vers le sud pour échapper au peloton qui ne cessait de s'étaler dans notre direction, nous sommes pratiquement à mi-chemin entre la guérite et le mentor lorsque je m'engage sur cette vague. Après un nombre obscène de virages et de gerbes d'eau qu'il serait inconvenant de décrire ici, j'atterris au pied de la guitoune en métal qui orne l'entrée nord du parking.

En temps normal, ce genre de vague complètement dingue suffit à me faire sortir de l'eau sans le moindre regret et avec l'assurance de garder la banane pour au moins deux mois, mais aujourd'hui, malgré la fatigue, la gourmandise est la plus forte. Vu les conditions, je m'autorise même à espérer un bis repetita. Sans la moindre hésitation, je me remets à ramer en direction du mentor pour aller retrouver mon pote sur "notre" peak.

Cinq minutes plus tard, et après quelques invocation ratées (C'était comment déjà? "Bon, je cracherais pas sur une bonne petite gauche..." non, c'est pas la bonne intonation. "BON, JE CRACHERAIS PAS..." non, je ne l'avais pas dit en hurlant!), je décroche l'une des gauches les plus hallucinantes de ma vie. Des rollers driftés en veux-tu en voilà, des piscines de flottes balancées de tous les côtés, deux reformes et un floatie pour finalement terminer ma course entre les baigneurs, dans une position de célébration digne d'un footballeur en finale de coupe du monde.

C'est bien simple, je suis tout simplement incapable de me remettre à l'eau. L'heure est obscène, j'ose à peine retourner au boulot de peur de constater que les collègues se sont déjà barrés pour aller souper. J'ai le cœur prêt à exploser, gonflé d'une énorme fierté liée au sentiment d'avoir enfin atteint le niveau de surf que je m'étais fixé comme objectif lorsque j'ai débuté il y a trois ans, un jour pluvieux d'octobre comme celui-ci. Mon seul regret est de ne pas avoir pu immortaliser cette vague, ne serait-ce que pour la partager avec mon amoureuse et lui montrer que son mec n'est plus un tocard même si, en toute objectivité, elle s'en fout probablement comme de ses premières règles. Après tout, ça fait bien deux ans que je n'ai pas réussi à la coincer sur une plage pour lui imposer le spectacle de mes pitoyables prestations. A bien y réfléchir, l'idée qu'elle se fait de mon surf, c'est peu ou prou les conneries que je raconte sur mon blog...

...alors à quoi bon se priver d'en rajouter un peu?

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article