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Surf loose report

Chroniques de la loose surfistique ordinaire

Vague scélérate

Port blanc, 9h.

C'est là qu'on voit que l'hiver approche. J'ai beau ne pas être tombé du lit, j'arrive quand même sur le spot le premier, et avec le lever du soleil. Sur le papier, les conditions météo n'étaient pas dingues, et un rapide check sur les Crevettes m'avait convaincu d'aller chercher la houle sur la côte sauvage. Là bas, ça plafonnait péniblement à 30cm dans les séries. Ici, je m'autorise à espérer le double. Mon humeur serait même au beau fixe si je n'avais pas remarqué en arrivant le graffiti laissé à la va-vite sur le portique du parking par un taré congénital en manque de reconnaissance: "local only".

Sans déconner... Et pourquoi pas "white power" ou encore "port blanc aux blancs" tant qu'on y est? Mais d'où sort ce localisme nauséabond? En plus, la fin de race venue vomir son idéologie n'a même pas été foutue d'orthographier ses revendication correctement. Car à moins qu'il s'estime être le seul "local" du département, il manque un "s" au substantif, même en anglais.

Bref, je m'efforce de faire abstraction de cette insulte à l'intelligence et file checker la côte, espérant secrètement qu'un "local" autoproclamé ne viendra pas vandaliser ma voiture pour me faire regretter mon illégitimité, moi qui ne surfe sur les spots du coin que trois à quatre jours par semaine depuis plusieurs années. Le plus triste dans cette histoire, c'est qu'une poignée d'individus qui ne sont peut-être même pas de la région, se permette de jeter ainsi le discrédit sur tous les honnêtes surfistes vivant et/ou travaillant sur ce bout de côte (ceux là même qui méritent le titre de "locaux"), et dont le comportement à l'eau a toujours été exemplaire.

Perdu dans mes pensées, j'en oublie presque de vérifier les conditions. Comme prévu, ça rentre mieux que sur les grandes plages mais c'est sale. Le banc de sable n'est pas calé et la houle déferle en deux fois: une première zone de mousses très molles au large, et un petit shore-break fermant au bord. A défaut d'avoir le moindre début d'idée de là où je pourrais bien me replier, la combinaison "petite houle ouest, fort vent de sud-ouest" ne laissant pas beaucoup de possibilités, je décide de tenter-ma-chance-et-puis-on-verra-bien. Le temps que Guntheric, avec qui j'ai rendez-vous, arrive, je me change et fais l'appoint de Wax sur la Cymatic.

Mon pote s'est lui aussi arrêté vérifier les plages, et il ne partage pas mon pessimisme à leur sujet. En revanche, ce qu'il voit en me rejoignant le fait sérieusement douter. "Je ne suis pas sûr du coup là... C'est quand même bien sale. Je me demande si ça ne vaudrait pas le coup de bouger." Arg, je venais juste de fermer le camtard et de ranger les clefs dans mon slip! Rapidement, je passe avec lui un contrat moral: "Écoute, j'y vais pour voir, et je te dis si c'est trop pourri. J'en ai pour cinq minutes à peine. Et je te promets que si c'est naze on remballe."

Pendant qu'il arpente la plage en cherchant le bout d'espoir qu'il a laissé tomber dans le sable, je me précipite à l'eau pour valider les conditions. Pour ne pas le faire poireauter inutilement, je fais l'impasse sur la barre et jette mon dévolu sur le shore break. Sorti de l'ascenseur à mi-chemin, je me place pile au dessus de la reforme dans l'attente de ma première vague.

C'est une droite. La pente est creuse mais ne ferme pas trop vite. J'ai le temps de faire gicler une première gerbe d'eau par dessus la lèvre, puis une deuxième, avant de me retrouver dangereusement près du sable. Je suis d'autant plus excité par ma performance que cette fois je savais mon public attentif. Après avoir mis un terme à ma course pour éviter l'échouage, je dresse les deux pouces au ciel en signe de consentement. Dix secondes plus tard, je rejoins la plage en chevauchant une gauche tellement creuse que mes dérives frottent le sable en bas de vague. Sortant de l'eau avec le sourire jusqu'au oreilles, je fais part à mon pote de mes conclusions. "C'est carrément prenable, et ça ne ferme pas trop vite! Il y a moyen de s'amuser. Par contre, je vais juste changer de planche pour éviter la casse."

Je remonte donc au camion pour choper la Mystery Box pendant que mon pote se change, poussé par mes encouragements et...

...et c'est à peu près tout ce qui s'est passé d'intéressant de toute la session!

Je venais de surfer une vague scélérate. Une pente malhonnête qui s'était sciemment jetée sur moi pour me persuader que la session allait avoir un caractère potable, mais qui, une fois son forfait accompli, disparaît pour ne plus jamais revenir. Pendant l'heure et demie qui suit, nous dégustons un buffet de premier choix garanti 100% pure matière fécale. Une succession ininterrompue de pentes molles, mousseuses, et qui ne déferlent pas plus de trois secondes consécutives. Hélas, bercés par l'illusion que le miracle pourrait se reproduire, nous ne pouvons nous résoudre à y mettre un terme.

Le passage de la Cymatic à la Mystery Box n'est pas non plus de nature à arranger les choses. En contrepartie d'une conception proche de l'indestructible, cette dernière ne bénéficie pas du même travail de carène, et ses boîtiers d'ailerons sont montés de façon assez approximative. Combinés à des rails plus épais et mordant moins efficacement dans la pente, je me retrouve à surfer une planche qui génère moins de vitesse, et n'encaisse pas les virages avec autant de fermeté. Sur les rares séries exploitables (et que mon pote ne se prive d'ailleurs pas d'exploiter à sa manière, maltraitant la mousse avec toujours autant de perversion), j'alterne les plantages de rail (parfois jusqu'à toucher le sable) et les fermetures. Un vrai bon gros plan loose.

Nous jetons finalement l'éponge vers 11h. Étrangement, de plus en plus de mecs se mettent à l'eau. Pourtant, en remontant le chemin qui mène au parking, j'ai bel et bien l'impression que c'est encore plus dégeu qu'à notre arrivée. Il y a bien quelques gros morceaux qui déferlent au large, mais ça ferme très vite et seule une poignée de virtuoses arrive à glisser plus de quelques mètres. Dans l'ensemble, ça ressemble plutôt à une soupe de mousse avec des surfeurs dedans, flottant comme autant de croutons à l'ail en attendant l'improbable coup de cuillère. Par mesquinerie, je me réconforte à la vue de tous ces innocents voués à en chier comme nous en avons chié.

Passablement dégoûté d'avoir fait la route pour ça, je me console néanmoins en imaginant le petit déjeuner hypercalorique que je ne manquerai pas de me procurer à la boulangerie du rond point de la trinité. Je salue mon partenaire dans la défaite qui décide, lui, d'aller "se finir" sur les grandes plages (il faut le voir dire cette phrase en agitant sa main refermée sur un manche imaginaire à quelques centimètres devant son bassin, c'est truculent!).

Quelques heures après être arrivé chez moi, Sigmundric m'expédie un report de sa deuxième session:
"Et merde, c'était plus praticable sur la guérite, et pas trop dégueu en plus... 60 à 80cm environ. Ce matin, ça devait être encore mieux. Frustration +1000!! J'y retourne à la haute!"

En effet "et merde"... Tout ça à cause d'une putain de vague scélérate!

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