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Surf loose report

Chroniques de la loose surfistique ordinaire

Casque bleu

Les crevettes, 12h.

Ça souffle fort, très fort même, à tel point que j'ai du retourner le camion face au vent pour ne pas me faire arracher les portières; mais bon sang que j'aime ce que je vois! Les vagues sont moins grosses que mercredi, mais plus régulières et particulièrement lisses. Quelle que soit la direction dans laquelle je regarde, il y a une section en train de dérouler. Cette session promet d'être mémorable.

Dans le parking, le sergent Johnny Rico, avec qui nous avions prévu de surfer ensemble, est déjà en train de se rhabiller. En voyant les lignes dérouler, le chenapan n'a pas résisté à l'envie de se mettre à l'eau dès 10h30, et je le comprends sans difficulté. Pour ce qui est donc de notre tête à tête, ce sera pour une autre fois. Mais je ne serai pas seul pour autant: en plus du collègue avec qui je viens de faire le trajet bureau-plage, je repère dans le parking la voiture de papa_école_surfeur ainsi que le camtar de Just Bro qui a fait le déplacement depuis son village natal de Ste Barbe jusqu'à ces contrées reculées, pour le seul plaisir de partager une session avec moi (et sans doute aussi parce que c'était bien moins propre devant chez lui).

Bien à l'abri derrière mon camion, dont l'aérodynamisme d'armoire normande ne présente finalement pas QUE des inconvénients, nous nous changeons tout en devisant de la session qui nous attend. Dans ma tête tournent en boucle les images de ces lèvres déchirées par le vent qui ne finissent pas de se dresser avant de s'abattre en déroulant sur plusieurs dizaines de mètres. J'ai l'impression de rêver éveillé. Pour le choix des armes, ce sera la Cymatic: J'ai peur que L'Evo soit hors de contrôle une fois calé dans le bowl, et que linette soit un peu juste sur les morceaux les plus mous. Ça a beau être magnifique à regarder, ça reste de la grande plage... Qui plus est avec 35 nœuds offshore et un début de backwash dû au shore break qui se reforme sur le bord. J'imagine déjà que le take-off sera plus qu'exigeant. Pour finaliser mon équipement, je pense ENFIN à récupérer mon casque tout neuf au fond de la caisse-à-trucs-qui-puent. Il faut que cette protection devienne une habitude, et quel meilleure occasion de justifier cet accessoire qu'un jour où le vent a toutes les chances de me renvoyer ma propre planche dans la tronche?

C'est donc encagoulé et coiffé d'un magnifique casque bleu façon soldat des nations-unies que je me dirige vers ce vilain shore break qu'il va falloir franchir avant d'accéder à l'el dorado. Un bon timing me permet de passer sans difficulté la zone de combat, et de me diriger paisiblement vers le peak. Premier constat lié à mon nouvel équipement: le casque plaque la cagoule sur mon crâne d'une telle manière que même en plongeant la tête sous l'eau pour mes canard, pas la moindre goutte d'eau n'atteint mon cuir chevelu. Il en résulte un confort accru et l'économie de nombreuses et précieuses calories. De plus, la visière rigide protège mon visage des remous lors de mes excursions sous-marines, de sorte que je n'ai pratiquement pas l'impression d'évoluer sous la surface. Enfin, une fois revenu à l'air libre, l'eau ne ruisselle pas sur mon visage, ce qui me permet d'être plus vite opérationnel. Le temps de constater ces multiples avantages, me voilà déjà en position.

Je patiente une minute ou deux, et une superbe gauche s'offre à moi. Comme souvent, ma première glisse de la session est complètement dingue et sera probablement inégalée au cours des heures qui vont suivre. Après m'avoir littéralement cueillie, la vague se reforme à plusieurs reprises, creusant à chaque fois un bowl plus profond que le précédent, et dont je ne m'échappe que grâce à la vitesse accumulée virage après virage. Avec une chance presque ironique, je trouve la trajectoire parfaite qui me permet de raccrocher section sur section pour enfin terminer ma course sur un bout de shore break presque tubulaire qui me dépose... En face du mentor!

Tout en priant pour que le schéma classique "gavage>loosage>mendiage>miraclage" ne passe pas tout de suite à la phase suivante, je rame pendant dix bonnes minutes pour me replacer. En plus de la distance parcourue, je n'avais pas senti venir un courant venu de l'enfer, et contre lequel il me faudra lutter jusqu'à la fin de cette session. Une fois de retour, j'enchaîne sans transition sur une deuxième gauche tout aussi prometteuse. Enhardi de mon premier succès, je tente cette fois d'aller chercher plus de verticalité dans mes virages et, pourquoi pas même, décrocher un petit roller des familles. Hélas, j'appuie mon virage sur une lèvre pas suffisamment dressée, et j'échoue à me relancer dans la pente. Ce n'est que partie remise!

Entre deux vagues, je rame beaucoup pour ne pas me laisser embarquer, comme tout le monde autour de moi d'ailleurs. Il en résulte un peloton en mouvement perpétuel, mais qui échoue à se répartir efficacement le long de la plage. J'en fais rapidement les frais. Après avoir cédé un certain nombre de priorités légitimes et pris quelques vagues un peu courtes à mon goût, je trouve une droite parfaite et rien que pour moi... que je me fais proprement taxer par un longboarder manifestement débutant et qui, galvanisé par les encouragement de son pote, se jette droit dans la pente au moment où j'allais me lever. Interrompant mon geste pour ne pas le couper en deux, je termine ma descente dans une position bâtarde, un genou posé sur le deck, pendant que le mec gâche ma vague d'un bon gros tout droit. J'enrage autant de m'être fait piquer cette prio que de devoir assumer le ridicule de ma position. L'autre gars, lui, s'en bas manifestement les couilles comme de sa première dent de lait.

Son pote justement, en longboard lui aussi, ne rate pas l'occasion de me taxer la vague suivante d'une façon encore plus pernicieuse: bien que n'ayant pas encore commencé à dérouler, il semble évident que la vague part à droite et que j'y suis le mieux placé. Pourtant, le mec s'engage devant moi et coupe vers la gauche comme s'il allait partir de ce côté, me plaçant de ce fait en position de lui céder la vague. A peine me suis-je désengagé en sa faveur, le voilà qui fait volte face et déroule du côté droit, comme j'avais prévu de le faire. Je peine à croire que sa manœuvre n'était pas parfaitement calculée, et je commence sérieusement à envisager de montrer à ce duo de quel bois se chauffe un casque bleu...

L'occasion ne se présentera toutefois pas, car bientôt mes nouveaux meilleurs amis filent à la rame vers le sud. Soulagé de retrouver un peu de quiétude, je commence à me dire qu'après tout, je n'ai qu'à me laisser dériver un poil pour la jouer solo sur mon peak à moi. J'ignore à ce moment que je viens délibérément de déclencher la grosse phase de loosage de la session. A mesure que je m'éloigne vers le nord, les vagues sont le plus en plus molles et de moins en moins fréquentes. Les gauches manquent de puissance et les droites décalent d'une façon ingérable. En ajoutant le vent de terre et le clapot qui joignent leurs forces pour m'empêcher de prendre de la vitesse, il m'est quasiment impossible de déclencher le moindre planning. Et lorsque j'y parviens néanmoins, ce n'est que pour finir instantanément dans un shore break de couleur marron tant il est chargé de sable et de gravats, et dont je sors en catastrophe et avec la peur au ventre d'y avoir laissé un aileron ou un bout de rail. Même mon pote Just Bro, qui s'est aussi laissé piéger dans la zone, galère à partir avec son longboard, c'est dire le merdier!

J'ignore si je passe vingt ou bien quarante minutes à galérer ainsi avant de me rendre compte de ma connerie, mais je commence rapidement à perdre patience. Il en va de même pour mon covoituriste, qui me demande à plusieurs reprises -et avec insistance- si par hasard je n'aurais pas faim. Après une attente particulièrement longue au cours de laquelle le seul événement notable est le départ de Just Bro, je tente maladroitement de remettre mes neurones en marche. Rapide coup d’œil alentour: A sud, des mecs debout dans la poche. Au nord, personne... De toute évidence, il n'y a qu'un seul peak en état de marche, et ce n'est pas un hasard si je n'ai pas vu la frimousse de papa_école_surfeur de mon côté. Alors que ce soit pour rejoindre le parking debout sur ma planche ou prolonger la session, je n'ai de toutes façons pas d'autre choix que de retourner me frotter à la foule.

Après une bonne grosse séance de rame contre le courant, me voilà replacé. Le plus au sud du peak au sud, juste au dessus de papa_école_surfeur qui semble exténué à force d'avoir trop pris de vagues... Et le miracle post-loose se produit! En quelques minutes, je décroche plus de gauches qu'au court de la dernière heure écoulée. Les vagues ont même le bon goût de me laisser une porte de sortie avant de finir en shore break sur les galets. C'est la gavade. C'est creux, ça glisse, ça touille. Le pied total. Et une fois encore, je me félicite d'avoir pensé à mettre mon beau casque bleu, tant celui-ci -associé à ma cagoule- me protège efficacement du froid autant que de la crainte de me faire mal.

C'est mon horloge intestinale qui se charge de mettre un terme à cette session complètement folle. "Grouuuuu" fait mon estomac dont le niveau d'acidité appelle à un remplissage imminent à base de produits chargés en glucides et lipides. "Maisheuuuuu" fait mon cerveau qui ne veut pas qu'on lui coupe la perfusion de dopamine. D'un geste entendu, je fais part à mon passager de mes intentions. Il acquiesce. Le temps de me remettre tout au sud du peak, et je profite d'une dernière gauche puissante et rapide, qui me dépose au bord avec un timing tellement parfait que je ne suis même pas gêné par le shore break.

Bien à l'abri entre les portes ouvertes du coffre de mon camion, je regarde la pluie tomber pendant que je retire ma combi. Comme d'habitude, j'ai trop chaud. Comme rarement, je suis fourbu. Aujourd'hui plus que jamais, j'ai l'impression d'être un soldat revenu du front.

Un casque bleu.

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C
pourtant en voyant le vent j'aurai pas juré que cette session serai mieux que celle de mercredi, comme quoi.
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U
Pour être tout à fait honnête, nous non plus on n'y croyait pas. Mais comme souvent on est allés vérifier... Au cas où
D
Salut, je confirme tes dires, arrivé avec un pote vers 14h, super beau comme dans ton premier paragraphe, ensuite plus compliqué avec le clapot et le vent qui je trouve a forci.<br /> Première droite un bonheur, j'aurais presque pu faire une casquette si, si.<br /> Peu être une carte à jouer demain.
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U
Winter is coming...