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Surf loose report

Chroniques de la loose surfistique ordinaire

A la dérive

Les crevettes, 12h.

Ok, c'est peut-être pas la session offshore magique dont tout le monde rêve, mais déjà c'est offshore! A 30 nœuds peut-être, mais offshore. Évidemment, rien n'a encore eu le temps de se caler et c'est un peu le chantier, mais le collègue et moi repérons dans tout ce merdier quelques morceaux à l'aspect vaguement motocultable, pas complètement ravagés par le vent. Et vu la dalle qu'on a, ça suffira amplement pour se mettre à l'eau. Par acquis de conscience, nous avions même poussé au préalable notre tournée un peu plus au sud dans l'espoir d'y trouver un repli exploitable, mais la marée était une fois encore trop basse pour que ça puisse fonctionner. C'est donc sans regret que nous nous déguisons en surfeurs, sur le parking recouvert de véliplanchistes et autres kiteux venus profiter des conditions.

"Tiens, il va y avoir une petite barre à passer" me glisse mon camarade en arrivant sur la plage. Je ne prends même pas la peine de lui répondre. Je me sens déjà fatigué. Moins que le découragement de voir le champ de mousse que nous allons devoir traverser, c'est une succession de nuits déraisonnablement courtes et de réunions professionnelles tout aussi déraisonnablement longues (et avec des gens trop compliqués dans leur tête) qui ont eu raison de mon énergie coutumière. Une chose en entraînant une autre, ce état d'épuisement cause chez moi une sensibilité inhabituelle au froid qui m'empêche de me décontracter. Je suis donc à la fois mou et crispé. Je suis mouspé!

D'abord en tête à la rame grâce à une chance insolente sur les premières séries, je me fais rapidement dépasser par manque de niaque, et il me faudra deux bonnes minutes de plus que mon collègue pour me placer à ses côtés. Ceci fait, je cherche des yeux l'entrée du parking pour constater que celle-ci a déjà foutu le camp vers le sud. Le vent pousse fort, nous dérivons à grande vitesse. Mon acolyte tente de compenser en ramant, mais je n'ai pas son courage et choisis de me laisser dériver "pour voir".

Mes premières vagues confirment mon impression. Bien que je n'aie aucune difficulté à planer avec le volume de ma mystery box, un choix d'autant plus judicieux que j'ai d'ores et déjà bouffé du rail dans les dents en loupant quelques canards, je ne trouve pas les ressources physiques nécessaires pour maîtriser la portance de son large tail sur le champ de mines qui nous sert de terrain de jeu. En un mot comme en mille, je fais de la merde. Je surfe avec un balai dans le cul et des jambes en coton. Ma planche file droit devant elle, épousant à sa guise les contours des bosses et des creux qui se dessinent sur sa route, menaçant de se renverser lorsque le bowl se creuse trop. Je subis d'avantage que je n'impose et souffre d'autant plus que, courant oblige, nous nous obligeons mon acolyte et moi à ne prendre que des droites pour ne pas aggraver le phénomène de dérive. Backside, les talons à mille lieues du rail en mousse, je ne trouve pas le mordant nécessaire pour aller chatouiller la lèvre en fin de bottom.

Malgré la contrainte de ne surfer que vers la droite, je signale bientôt à mon partenaire que nous venons de passer devant l'accès au Mentor. Les planches à voiles à côté desquelles nous ramions quelques minutes plus tôt ne sont à présent plus que de lointaines silhouettes dans la brume d'écume soulevée par le vent forcissant. Un instant, je considère l'éventualité de rejoindre la plage pour me replacer pedibus jambis, mais la flemme l'emporte sur la volonté. "Bah, maintenant que je suis là... J'aurai tout le temps de marcher une fois la session finie".

Après quelques vagues supplémentaires, et dont je ne suis pas particulièrement fier, la guérite se dessine à présent distinctement sur le haut de la dune. C'est à ce moment là que, d'un commun accord, nous décidons de mettre un terme à cette transhumance involontaire. "Bon, une dernière et on rentre?" me glisse le collègue, "Ouais, on va faire ça". Pour bien enfoncer le clou loosesque, je trouve le moyen de me ridiculiser sur ma "dernière" droite en ratant mon bottom et en terminant ma course à plat sur le dos, comme un flan. L'honneur m'oblige à laver cet affront, mais déjà mon covoituriste attend sa luge dans les mousses. Je me finis donc comme un miséreux, surfouillant une pseudo-vague qui passait par là, histoire de ne pas rentrer à la nage.

Nous mettons pied à terre face à la guérite. La marche s'annonce longue et difficile, le vent tirant nos planches vers l'arrière. Mon collègue essaie de positiver cette session en dépit du bon sens: "c'est quand même vachement mieux que... genre... pas surfer du tout!" J'ai l'impression de m'entendre dans les bons jours. Mais aujourd'hui n'est pas un bon jour. J'ai la loose au corps. Pour finir d'enterrer mon moral, un planchiste pose un front loop de toute beauté, juste sous nos yeux, au moment où nous arrivons enfin à destination: pile ce qu'il fallait pour me rappeler que moi-même, je n'ai jamais su réaliser cette figure. Mes nombreuses tentatives infructueuses au cours des années 90 s'étant toutes plus ou moins soldées par un grand coup de front dans le mat. Et puis c'est pas à presque 40 piges que je vais commencer à faire ce genre de trucs. Aujourd'hui plus que n'importe quel autre jour, je me sens vieux.

Vieux et fatigué.

A la dérive.

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R
T'inquiète, on se refera au primtemps. Encore quelques sessions à se geler et ça ira mieux.<br /> <br /> <3
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U
Mais j'adore l'hiver!