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Surf loose report

Chroniques de la loose surfistique ordinaire

Affamé

[Repli secret], 13h.

En temps normal, je n'aurais même pas chargé le camion avec des prévisions pareilles: 25 nœuds onshore, avec des rafales à 40, et une mer 100% pur clapot, c'était le plan loose assuré. Mais après une semaine d'abstinence surfistique forcée, la carence en iode était telle que je n'ai pas pu résister à l'appel du collègue tentateur: "Tu crois que ça se tente sur [repli secret]?". En quelques mots, mon cerveau avait basculé dans l'irrationalité la plus totale, et je m'étais engagé sur la longue route de la loose.

Comme prévu, une fois sur place, nous constatons que c'est moche. Très moche. Bien sûr, hors de question de rentrer chez nous avec la bite sur l'oreille après pratiquement une heure de route, mais quand même, nous checkons à plusieurs reprises avant de nous décider. Les kiteux et les planchistes sont là en nombre, comme pour confirmer le fait que les conditions ne sont décidément pas adéquates pour la pratique du surf. Dans le merdier ambiant, tout ce qui n'a pas une voile pour tirer parti des forces éoliennes est irrémédiablement voué à se faire maltraiter par les éléments. En bon gros masochistes, nous enfilons logiquement nos tenues de latex pour aller nous faire fouetter.

La mystery box sortie du coffre, je m'amuse un instant à la tenir par le leash tandis qu'elle vole, maintenue dans les airs par la seule violence des rafales, tel un cerf-volant en polystyrène. Miam, je sens que je vais me régaler! En tout cas, si je bouffe du rail, celui-là au moins sera moelleux. Nous nous mettons finalement à l'eau... Ou plutôt "à la mousse", car l'eau est subtilement dissimulée sous une épaisse couche d'écume qui s'étale à perte de vue en raison d'une barre interminable. Les pieds nus dans ce plasma glacé en raison d'une pure flemme d'aller chercher les chaussons au fond de la caisse à trucs qui puent, je compte une bonne quinzaine de lignes serrées à franchir avant d'atteindre un endroit à peu près dégagé. Sans plus un mot, nous nous allongeons sur nos flotteurs respectifs et commençons à ramer.

Vingt minutes plus tard, nous voilà assis sur nos planches. Un coup d’œil en direction de la côte nous informe que nous avons déjà sérieusement dérivé. Si! Quand on a parcouru la même distance en largeur qu'en longueur sans pour autant avoir ramé en diagonale, c'est qu'on a dérivé! Avant même de prendre notre première (...vague?), nous cherchons déjà des solutions pour compenser le courant. Pour moi, les choses sont claires: je surfe jusqu'à atteindre le bord, je marche face au vent, et je repars pour un tour de manège.

Bon, on ne va pas se mentir, mes premières glisses ne sont pas inoubliables. Une demi douzaine de plannings aussi mous que le take-off est explosif, voilà tout ce que j'arrive à scorer au milieu de ce chantier. Mais en jetant un nouveau coup d’œil à la côte, j'estime cette fois avoir dérivé d'un bon kilomètre. Il est plus que temps de me replacer. Une descente complètement à l'arrache et quelques luges plus tard, me voilà en train de crapahuter sur le sable, ma planche flottant derrière moi comme un drapeau. Après un bon quart d'heure de marche, je suis de retour à mon point de départ. Le collègue m'imite bientôt, petit point à l'horizon qui grossit à mesure qu'il s'approche.

Cette fois, la barre me semble beaucoup plus dure à passer. Les mousses ne poussent pas particulièrement fort et je ne rate aucun canard, mais à cause d'une sorte de courant qui me renvoie continuellement vers la côte, chaque mètre gagné me coûte de nombreuses minutes d'efforts. Je n'ose même pas regarder en arrière de peur de ne pas trouver le courage de continuer à ramer mais lorsque, désarçonné de mon flotteur par une vague particulièrement agressive, je réalise que j'ai encore pieds, je suis à deux doigts de jeter l'éponge. Pourtant, je m'acharne envers et contre tout. Contre le sort et contre les éléments. Pour enfin réussir, après pas moins de 40 minutes de galère, à franchir la dernière crête qui me sépare de la zone d'accalmie. Enfin je me retourne et...

...PUTAIN! Je suis cette fois à plus d'un kilomètre et demi de mon point de départ. Autrement dit, j'ai dérivé encore plus loin que lorsque j'étais sorti de l'eau pour me replacer. Sans déconner?! Je viens de perdre pratiquement une heure à marcher et à ramer pour... pour... me retrouver dans une situation encore pire que si je m'étais contenté de ne rien faire! Cette constatation m'achève littéralement. Je chope la première grenade qui passe et me laisse pousser par l'explosion jusqu'au bord, avant de reprendre la longue route qui mène cette fois au camion.

En chemin, je repère le collègue qui se balade lui aussi, mais avec l'intention d'y retourner par contre. Bah, c'est pas plus mal, au moins je pourrai prendre tout mon temps pour me changer, et étaler mes affaires à ma guise. C'est que ça n'est pas si facile à partager, un vestiaire de la taille d'un utilitaire! Une fois rhabillé, et en attendant que mon passager se résigne à déclarer forfait à son tour, je tape la discute avec deux kiteux de passage. Manifestement, ils mettent un moment à accepter l'idée que j'y sois allé à la rame: "Sans déconner? Tu veux dire que tu es allé surfer là dedans?!". Ben ouais, on fait avec ce qu'on a! L'un d'eux fait cependant preuve d'un positivisme qui donne soudain tout son sens à cette session: "Remarque, c'est toi qui as raison: comme préparation physique pour les jours où ça marche, difficile de faire mieux! Et puis entre ça et faire de la muscu dans une salle..."

C'est tellement vrai! Je préfère mille fois passer une heure à me geler les arpions dans une mer démontée, à bouffer des seaux d'eau dans la tronche et me faire malmener par les éléments déchaînés, plutôt que de subir le confort climatisé d'une salle de sport et l'arrogante sensualité d'une coach athlétique.

Est-ce cela qui définit un surfeur "affamé"?

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A
Aaaaah... bah voilà, j’ai cru que ces superbes conditions onshore t’aies un moment rebuté .... Je trouvais étonnant de ne plus te voir en profiter à fond ... Je t’avoue que moi je suis quand même un peu moins frustré en attendant que ma côte daigne se réparer ... Car comme tu dis rien de pire que des bonnes conditions quand les autres peuvent en profiter sans toi ;-)
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A
Ah oui j’avais ouï dire qu aujourd'hui il y avait potentiellement quelque chose à faire.. mais en fermant les yeux ça passait inaperçu ... De toute façon, je m’en fiche si le titre de l’article ne sent pas la loose je ne le lirai pas... na !
U
Atta, j'ai pas encore publié l'article d'aujourd'hui ;-)