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Surf loose report

Chroniques de la loose surfistique ordinaire

Frustration

[Spot non précisé], 12h45.

Ma foi, ça m'a l'air pas mal du tout cette affaire! Just Bro, déjà sur place, m'avait promis "un bon mètre/un petit mètre vingt" (ce qui signifie dans son jargon "une hauteur d'homme"), et la houle semble effectivement au rendez-vous. En plus, avec le vent side-off, les vagues sont glass et ouvrent bien. Après un rapide check, accompagné du collègue/covoituriste, nous décidons d'un commun accord d'aller poser le camion quelques centaines de mètres plus loin, face à un peak secondaire, pour profiter d'un maximum de tranquillité...

Hélas, une fois changés, nous nous rendons à l'escalier permettant d'accéder à la plage pour constater que celui-ci est condamné. Avec les tempêtes hivernales, le sable a foutu le camp et les marches terminent leur course dans le vide, un mètre cinquante au dessus des structures métalliques habituellement ensevelies, et qui aujourd'hui exposent leurs arêtes aussi tranchantes que rouillées aux pieds des innocents promeneurs. D'accès condamné en accès condamné, nous atteignons finalement le sable à l'endroit exact où nous avions checké quelques minutes plus tôt. Le temps et l'énergie perdus dans l'opération font naître en moi un germe de frustration que je compte bien balayer dès mes premières vagues.

Après avoir marché un peu pour nous remettre plus ou moins en face du camion (vla la promenade kwa...), nous nous mettons enfin à l'eau. La barre n'est pas particulièrement profonde mais l'écume pousse fort et atteindre le large nous coûte quelques minutes supplémentaires. Une fois placé, je vérifie une nouvelle fois mon alignement: le courant m'a ramené à mon point de départ... Super! Ce qui n'était qu'un germe commence doucement à s'épanouir et s'installer.

Heureusement, avant même d'avoir pris ma première vague, je tombe sur Just Bro en train de finir une droite sur laquelle il emmène son longboard avec maîtrise et fluidité. Retrouver ainsi mon copains sans même avoir eu besoin de le chercher me redonne le moral. Je lui présente mes vœux et demande de ses nouvelles, mais celui-ci me répond, avec un sourire désarmant: "On surfe d'abord et on cause ensuite?". Arf, tant pis pour la conversation tant attendue. J'en suis quitte pour aller chercher une vague. La petite sensation amère revient aussi vite qu'elle s'était évanouie.

Parce que je ne suis pas un mauvais bougre, l'océan m'envoie bientôt ma première récompense. Je m'engage sur une gauche qui ouvre raisonnablement et trace un premier bottom. Le large tail de ma Cymatic m'offre toute la portance dont j'ai besoin pour accélérer et je prépare bientôt mon premier roller de la journée. Hélas, la vague est plus molle que je le croyais et mon erreur de jugement me coûte mon planning au moment où, après avoir fait pivoter mon flotteur trop haut sur la lèvre, j'échoue à me relancer efficacement dans la pente. Sachant que ma première vague est souvent ma meilleure, je commence à craindre le pire pour la suite.

Dans les minutes qui suivent, je rate plusieurs vagues un peu trop molles pour mon shortboard. Les séries ont beau être belles à regarder, la pente n'est pas assez raide pour partir sans effort. En ajoutant à cela le fait que le spot est de toutes façons réputé difficile à lire, avec des vagues qui font plusieurs fois semblant de vouloir déferler avant de changer d'avis, j'ai du mal à trouver un bon placement. Ce n'est évidemment pas le cas de Just Bro dont le longboard, propulsé par ses bras bioniques et son expérience, ne cesse d'aller et venir autour de moi. Alors que je devrais me réjouir pour lui, je dois admettre que ce spectacle m'agace quand même un chouilla. Pour ne pas rester brocouille, je suis contraint d'aller au plus près du point de déferlement, quitte à partir dans la mousse pour ensuite rattraper la section. La stratégie s'avère payante, et je me surprends même à réussir plusieurs take-off malgré le poids de l'écume sur mon dos, mais cela ne me permet pas de trouver l'autoroute à laquelle j'aspire.

Pour me réconforter, je regarde un peu autour de moi. Vu la densité de population, la statistique fait qu'il y a toujours au moins un mec en train de dérouler une belle section quelque part (et donc de faire baver d'envie tous ceux qui assistent comme moi au spectacle en attendant leur tour) mais, sur le nombre, il y a quand même pas mal de gonzes à faire la bouée et/ou louper leurs vagues. Est-ce que je me sens mieux pour autant? Je ne saurai le dire. Mais une chose est certaine, ça me rassure sur le fait que le problème ne vient pas uniquement de moi.

Comme pour me féliciter de ma patience, une fat mama venue de loin décide finalement de me foncer droit dessus. Non contente de se mettre à déferler pile sous mon bide, celle-ci se révèle particulièrement creuse, m'obligeant à tenter le drop en chute libre. Pour ne pas me faire enfermer, je colle la planche à 45° pendant la brève seconde d'apesanteur qui précède le contact avec la face de la vague. Hélas, au moment où mon rail mord la surface de l'eau, mes dérives échouent à créer l'accroche dont j'ai besoin et ma planche part en wipeout. Après deux rebonds et quelques mètres en crabe, je mange finalement la gamelle qui m'était destinée. Décidément, cette session est bien difficile!

De retour au peak, je retrouve Just Bro. Cette fois, il semble disposé à me tenir compagnie. Nous discutons donc de la pluie et du beau temps, mais surtout de nos récents exploits surfistiques. Je prends un plaisir mesquin à lui raconter en détail ma session folle du 22 décembre dernier. Cela fait des années qu'il guette une opportunité sur cette zone et je suis presque certain de le faire crever de jalousie. Lui contre attaque avec son propre repli, que je n'ai pas non plus eu le loisir de tester. Balle au centre. Profitant d'une pause dans la discussion, mon pote monte se placer quelques mètres au dessus de moi pour tirer parti de son avantage longboardesque. La série qu'il avait senti venir déboule comme prévu et je le regarde passer sous mon nez, impuissant, forcé de lui céder la prio sur la plus belle droite du set. A son retour au peak, quelques secondes plus tard, je ne peux retenir un "chais pas pourquoi, mais je le sentais pas, de te couper la route" destiné à lui faire comprendre que l'idée m'avait néanmoins traversé l'esprit.

Le temps de prendre des nouvelles de sa famille et une nouvelle série se pointe. Dans le lot, je repère une droite dont la trajectoire amène le bowl jusque sous mes dérives. Je me frotte déjà les mains à l'idée du rush que je suis sur le point de m'offrir. Mais c'était sans compter sur Just Bro qui, placé une fois encore plus haut que moi, s'élance sans effort sur l'épaule avant que la vague ne commence à déferler. Forcé de lui céder une seconde prio sans avoir pu me refaire entre temps, je m'agace de la situation: "hey, va pas falloir que tu fasse trop ton mec en longboard, là... Parce que si ça continue, il va falloir que ça cesse!"

Une petite gauche de consolation pour me refaire une santé mentale et me voilà à nouveau dans le voisinage de mon ami d'enfance. Moins de cinq minutes après l'avoir retrouvé, le compère récidive: avec son placement en hauteur, il chope, avant même que je n'aie eu la moindre chance de commencer à ramer, une vague que j'avais vu venir de loin et que j'espérais enfin pouvoir chevaucher. Pour la troisième fois consécutive, le bowl creuse pile sous moi et se met à ouvrir d'avantage que tout ce que j'ai pu capter jusqu'ici. Mon sang ne fait qu'un tour: tant pis pour mon pote. Je la tente quand même, quitte à devoir serrer un peu des fesses.

Au moment de décider si je bascule dans la pente, le creux est tellement formé que je n'ai pas d'autre choix qu'un drop viril. Mais alors que je m'apprête à subir le coup de pied au cul caractéristique des départs musclés, mon ami surgit sur ma gauche, avec une trajectoire parfaitement perpendiculaire à la mienne. Le bougre a déjà terminé son bottom et commence son ascension vers la lèvre. Il surfe haut sur la vague et vite. En un instant, je comprends que si je ne me désengage pas immédiatement, la collision est assurée. Encore allongé sur ma planche, je plante mon rail tribord au plus profond que je le peux, et réussis de justesse à tourner à 180° avant que la lèvre ne me projette sur mon ami. A la fois soulagé et frustré, je regarde le reste de la série me péter sur la gueule pendant que mon pote n'en finit pas de dérouler son interminable vague.

"Ben pourquoi tu m'as pas suivi sur celle là? Il y avait de la place pour deux." Me lance Just Bro à son retour au peak
"- T'es un grand malade, j'allais te couper en deux! Je ne pouvais pas te tomber dessus comme ça.
- Ah? T'es sûr? Bon ben tu sais quoi... Je crois que je vais aller surfer un peu plus loin avant de te pourrir définitivement ta session!"
Touché par tant de sollicitude, je m'éloigne moi aussi pour aller chercher d'autres séries. Mais une suite de mauvaises décisions ne me permet de surfer que quelques vagues de second choix, bien moins excitantes que le trio de bombes que je viens de laisser filer. Bientôt de retour à côté du collègue dont je surveille à présent les signes annonciateurs d'un retour au taf, je bouffe quelques gaufres dans la reforme et rate quelques fat mamas plus au large. Avec la montante, les séries déferlent à présent plus près du bord et menacent de tourner au shore break. Enfin, à chaque minute qui passe, une paire de surfistes supplémentaire rejoint le peloton déjà très serré qui sévit sur les divers peaks, et se faire une place devient de plus en plus compliqué.

Les bras croisés au dessus de la tête, j'informe mon covoituriste de mon intention d'en finir. Just Bro, qui rode dans les parages me fait comprendre que lui aussi ne va pas tarder. "Enfin, le temps d'en prendre une dernière quoi" ce qui signifie généralement un bon quart d'heure de rab. Et un quart d'heure, c'est effectivement le temps qu'il me faut pour trouver une gauche potable malgré une hausse significative de la densité de bombes au mètres carré. Après quelques virages et même un roller pas dégueu, je profite d'un trou entre deux reformes pour remonter sur la plage sans me faire éclater par le shore break à présent installé, le collègue sur les talons.

De retour sur le parking où mon ami d'enfance a eu l'intelligence -contrairement à moi- de garer sa voiture, je croise ce dernier, déjà changé: "Franchement, ya des super vagues, regarde!" C'est vrai que c'est beau à voir, encore plus même qu'à mon arrivée. Où que porte notre regard, il ne se passe pas une seconde sans qu'un mec envoie une gerbe d'eau sur l'une des innombrables sections qui déroulent de part et d'autre de notre point d'observation. Des conditions rares et magnifiques. Et moi dans tout ça? Je suis simplement passé un poil à côté de ma session. Oh ce n'était pas catastrophique, loin de là! J'ai pris quelques grosses vagues et surfé à m'en faire mal aux cuisses... Mais ça aurait pu être tellement mieux avec juste un petit je-ne-sais-quoi de plus. Et en dépit des bons moments passés à l'eau, je ne peux ignorer ce léger arrière goût amer que seule la frustration sait donner aux choses.

Et pourtant, en marchant le long de (l'interminable) route qui mène à mon camion, je me fais la réflexion qu'étrangement, il n'est pas si déplaisant que ça, ce goût. Parce qu'à bien y réfléchir, n'est-ce pas là l'une des principales motivations qui font que nous, surfeurs, avons toujours envie d'y retourner le plus vite possible? Nourrissant chaque fois l'espoir de faire mieux que la session précédente?

Frustration, quand tu nous tiens!

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C
Tout le monde était au même endroit le même jour sans le savoir. J'était là à partir de 14h30 jusqu'à la tombé de la nuit... Rien à dire même ressenti que toi et les autres, ce replis me déçois énormément , et à vrai dire la peur de faire un late take off sur une bombe qui au final devient mole 1 fois une 2 n'est pas tellement réjouissant. <br /> Le spot est assez traître en faite et plus on va vers la ville au bout et plus ça se corse, la marée montante n'aide pas du tout ( mais c'est aussi ce qui permet au spot de couper le vent), la sortie y est parfois périlleuse ou cocasse en fonction du point de vue.<br /> <br /> Il faut une planche avec assez de volume et en même temps capable de tenir le coup de pied au cul ou le creux qui se produit de temps à autre.<br /> <br /> A l'arrivé et une fois sortie, j'ai aussi vu des mecs tirer leurs épingles du jeux ce qui est assez frustrant, mais il y'avais clairement du niveau ( le coin est technique je trouve) et peut être de l'habitude aussi.<br /> <br /> Dans l'ensemble ça me rassure aussi de voir que toi moi est les autres nous avons tous autant galérer.
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U
La loose est plus agréable quand elle est partagée <3
F
Hé hé je sortais de l'eau brocouille ou presque quand ton pote et toi êtes arrivés... Bien joué vous avez l'air d'avoir réussi à tirer votre épingle de tout ce merdier!
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F
Ok vendu. Prochain débile que tu vois te faire un signe étrange ce sera surement moi.
U
Un jour, il faudra qu'on utilise un signe de gang ou un truc du genre pour se reconnaître !
D
Salut,<br /> Et merci encore pour le récit.<br /> J'étais le même jour que toi et au même endroit, et je confirme pour la mollesse des vagues et surtout pour le short break, sorti de l'eau comme recraché par l'indigestion de l'océan.<br /> Mon pote et moi étions à un moment plus à l'ouest, plus petit et peu être un chouille plus propre.<br /> Un goût amer aussi mais sous un ciel clément et avec un bon moment de partage.
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D
le pti shaka qui va bien qwa
U
C'est plus facile à digérer quand on sait qu'on n'est pas le seul à en avoir bavouillé