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Surf loose report

Chroniques de la loose surfistique ordinaire

Souvenirs en vrac

Lorsque j'étais planchiste, je pensais que le surf était l'activité avec le pire ratio "temps de glisse/temps à l'eau". Depuis que je fais du surf, je sais que c'est vrai.

Quand on y pense, c'est vraiment un sport frustrant: 95% du temps passé à galérer ou à attendre, pour 5% de plaisir... Dans les bons jours. Mais au lieu de décourager les accrocs, cette frustration agit comme un catalyseur qui rend chaque instant de glisse encore plus magique. Et quand on a bien la dalle depuis des jours, voire des semaines, les bonnes vagues deviennent carrément inoubliables, tout autant que les moments de loose qui les accompagnent. Flashback:

- Un jour comme les autres à la guérite. Vent on-shore, mer en chantier. Mon collègue et moi sommes à l'eau depuis plus d'une heure et ni l'un ni l'autre n'avons eu de vague potable tant les séries sont illisibles et le clapot omniprésent. A défaut de comprendre ce qui se passe, je saute sur tout ce qui bouge comme Rocco au salon de l'érotisme, espérant que mon Hydrofish arrivera à accrocher quelque chose.
A force de persévérance, je finis par me retrouver backside sur la face d'un droite un peu plus grosse que les autres, et un rapide coup d'oeil devant moi m'informe que ma trajectoire m'entraîne avec une précision digne de la NASA sur la tronche du seul autre mec à l'eau: mon collègue qui remonte la barre. La logique aurait voulu que j'infléchisse ma course pour passer derrière lui en toute sécurité mais, déjà engagé dans un bottom laborieux, je vais au bout de ma connerie. Je déclenche le changement de rail pour engager un top turn à peine un mètre devant son nose, tandis que la crête de la vague s'écroule pour me barrer la route. J'interprète sur le coup son pouce levé comme une manière de saluer la beauté de ma manoeuvre. Je n'envisagerai que bien plus tard l'éventualité qu'il me remerciait simplement de ne pas l'avoir coupé en deux...

- Port-rhu. Nous ne sommes que trois à l'eau, les deux autres mecs hallucinent: apparemment les conditions sont d'une qualité rare et ils s'attendaient à devoir se battre au peak. Comme ce n'est que ma troisième session sur ce spot, je ne réalise pas trop le caractère exceptionnel de la situation. Toujours est-il qu'il y a effectivement un peak stable duquel déroulent toutes les 15 secondes environ de superbes gauches parfaitement glassy, largement plus hautes que moi et formant un large tube qui déroule avec régularité. Comme souvent pour mes premières session sur un spot inconnu, je suis monté gros: mon longboard de 9' me permet de capter les vagues très tôt et d'être debout, lancé et raisonnablement manoeuvrable avant que les choses ne deviennent sérieuses. Du coup, alors que mes acolytes de fortune enchaînent avec talent les drop à la limite de la zone d'impact, j'ai tout le loisir de lancer ma locomotive une bonne dizaine de mètre plus haut, là où les vagues ne sont encore que des ondes qui ignorent qu'elle vont bientôt déferler.
J'ai rapidement perdu le compte des vagues prises ce jour là, c'était une véritable orgie. Mais l'une d'elle en particulier reste gravée dans ma mémoire: Bien calé sur son rail, ma planche file aussi vite qu'elle le peut sur la face de la vague que ma main tendue devant moi caresse à mi-hauteur. Assourdi par le vacarme de l'écume, je regarde par dessus mon épaule pour constater que je ne suis qu'à quelques dizaines de centimètres en avant de l'entrée du tube dans lequel moi et ma planche aurions notre hauteur. Pendant un instant où le temps semble s'être figé, je songe à ralentir, à me laisser enfermer. Puis je reviens à la réalité, et réalise instinctivement que je n'ai ni l'expérience, ni les couilles, ni le matériel adéquat pour en ressortir, et que cette vague déferlera comme les autres contre le pied de la falaise, avec ou sans moi à l'intérieur. Un an après, mesdames et messieurs, je sens encore l'élastique du slip claquer contre ma taille. La nature était trop belle, je l'ai laissée filer.

- [spot censuré]. Mon collègue et moi avons posé notre vendredi après midi à l'improviste pour aller faire l'école buissonnière. Des conditions inespérées nous emmènent sur la route d'une presqu'île que nous n'avons pas l'habitude de fréquenter. Nous descendons sur la plage en escaladant maladroitement les roches de la digue, excités comme des collégiennes à un concert de Kendji Girac. 80cm glassy, nous ne sommes que deux à l'eau. Pendant plus de deux heures, nous enchaînons les séries. Je commence à peine à percevoir le potentiel de mon Evo qui glisse sur des gauches interminables en enchaînant les virages à s'en faire mal aux cuisses. Je suis tellement excité qu'au moment de sortir, je tente un take off sur le shore-break créé par la montante, pour aller fracasser le nose de ma planche préférée sur les galets. Épiquement loosesque.

- [spot censuré]. Depuis plusieurs jours, une solide houle rentrait sud-ouest et le vent venait juste de tourner au nord. Sur les conseils d'un ami, je tente ma chance sur ce spot confidentiel où des gauches magnifiques déroulent non loin du bord. Première vague incroyable: je ressens la vibration de mon Evo sous mes pieds tandis qu'elle inscrit sa courbe sur la face d'un véritable mur d'eau qui masque l'horizon à mon regard... Le grand frisson! A peine cinq minutes plus tard, tout le monde sort de l'eau. Les locaux savent que la descendante vient de mettre un terme à la fête, je m'obstine dans l'espoir... Dans l'espoir de je sais pas quoi. Au bout d'une heure et demie, je termine la session, seul. Mon compteur de vague totalise: 1. Note pour plus tard: faire confiance aux locaux.

- [spot censuré]. C'est noël, le vent bastonne plein ouest depuis plusieurs jours et nous cherchons tous LE spot de repli. La houle est tellement forte qu'après s'être enroulée autour de la pointe de Quiberon, elle rentre plein sud dans la baie de la Trinité. Carnac, St-Phillibert... des plages habituellement calmes se transforment en spot de surf potentiels. Un informateur dont je souhaite préserver l'anonymat me refile un tuyau en or: la houle rentre jusqu'à un endroit improbable et se dresse à marée montante au dessus d'une avancée rocheuse. Il y a un coup à jouer. Impossible de dire si le plus inoubliable au cours de cette session étaient les vagues elles-mêmes, aussi improbables que réelles, ou la tête des promeneurs qui ne s'attendaient manifestement pas à croiser deux artistes en combi néoprène, planche de surf sous le bras, sur leur sentier de promenade, puis de les voir batifoler gaiement dans l'eau en attendant les séries.

Tous ces souvenirs, et bien d'autres encore, constituent les 5% de bonheur qui nous font accepter les 95% de galère, les sessions de merde et les anticyclones. Toutes ces frustrations qui, loin de nous décourager, embellissent par contraste ces instants rares.

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